HC Les Avants : là où le hockey sur glace est né

Il fait chaud, les terrasses se remplissent, la bière coule à flots, les jupes se raccourcissent, Rosselat a vendu tous les billets pour sa grande fête à la saucisse, le titre du HC Davos n’est plus qu’un lointain souvenir tout comme le énième ratage du LHC pour atteindre la LNA. Les amateurs du seul vrai sport couillu se préparent à une longue attente avant les premiers matchs de septembre en patientant devant les tapettes du FC Sion, des minettes dopées sur leur vélo ou un paquet d’abrutis tournant sur des circuits de F1. Quoi de plus agréable qu’un petit rafraîchissement historique à la gloire mondiale (et passée) du Canton de Vaud en général et du HC Les Avants en particulier ? Là où le plus beau sport du monde est né… en Suisse.

Alors, c’est qui le premier ?

Si on écoute (ou lit, ce qui est moins pire) un supporter du HCC, il vous dira que le plus grand club romand c’est la Tchaux, fort de ses six titres consécutifs de champion suisse entre 1968 et 1973 avec les René Huguenin, Michel Türler et autre Gaston Pelletier. C’est correct pour un club créé tardivement… en 1919. Pour un habitant de la Rue de la Dôle ou de Malagnou, le hockey sur glace en Suisse est né à G’nève «entre 1905 et 1906» (selon le site officiel), vrai encore pour l’un des huit clubs fondateurs de la ligue suisse de hockey, créé un an après les pionniers vaudois. Même si le HC Servette n’a jamais gagné le moindre titre suisse (à l’exception de deux Coupes de Suisse, une compétition aujourd’hui abandonnée), idem pour son petit frère le HC Genève fusionné en 1963 pour former le Genève-Servette HC connu aujourd’hui.

Pour un arrogant Lausannois enfin, le second champion suisse de l’Histoire est lausannois, le HC La Villa (à en croire le site officiel). Vrai à moitié. Le club de hockey de la ville de Lausanne à cette époque, c’était le Club des Patineurs de Lausanne (champion suisse en 1911), le premier n’existe plus aujourd’hui et le second regroupe tout ce que la région lémanique compte de patineurs artistiques. Le Lausanne HC est né en 1922, la Section Ouest le rappelle assez souvent. On notera enfin que le hockey est arrivé en Valais dans les années 20 (le premier club valaisan fut le HC Champéry dont je n’ai pas retrouvé la date exacte de fondation), que le premier club suisse allemand fut le Akademischer Eishockey-Club Zürich en 1908 (club qui existe toujours), qu’il fallut attendre 1973 pour voir la création du HC Ajoie, que le premier champion suisse de Ligue Nationale A fut Davos en 1938 (année de la fondation du HC Gottéron) et finalement que le premier champion suisse dans le format actuel (play-off) fut le HC Lugano en 1986. Oui, mais le premier des premiers, le pionnier, le fondateur, c’est le HC Les Avants ; et la raison en est évidente.

Grandeur des Hauts de Montreux

Pour qui s’est enhardi à s’arrêter aux Avants au-dessus de Montreux, il est impossible de ne pas sentir le frisson de l’Âge d’Or du tourisme dans les Alpes dans ce sympathique village installé au pied de la Dent de Jaman. Le tourisme, cette activité inventée au milieu du XIXe siècle par les Anglais, qui a fait de la Suisse un pays de paysans arriérés et pauvres, l’eldorado que nous connaissons aujourd’hui, est encore très présent parmi les narcisses, les anciens hôtels de luxe reconvertis ou le bucolique funiculaire menant au Col de Sonloup. Le XIXe siècle… bien avant le faste de l’horlogerie neuchâteloise, la renommée du chocolat fribourgeois ou les refuges bancaires de la Paradeplatz.

 

Ce sont bien les Anglais qui ont vu le potentiel extraordinaire des Alpes helvétiques d’abord, qui ont montré la voie à suivre ensuite. Ils ont construit des voies de transport (normal, ce sont les inventeurs du chemin de fer), toute une série d’hôtels de luxe (qui le sont encore aujourd’hui : pensez aux Palaces de Montreux, Gstaad, Lausanne, Genève, Davos, Zermatt etc..) et surtout, ils ont amené avec eux leurs sports. Le football évidemment, mais aussi le hockey sur glace de leur lointaine colonie canadienne. Le microclimat de Montreux fut une destination naturellement prisée par les sujets de Sa Très Gracieuse Majesté. Le Valais était encore difficilement accessible et le Lac Léman permettait un accès en bateau rapide et aisé depuis Genève. Le lac fut même utilisé dans les années 1950 comme piste d’atterrissage pour les hydravions de la seule et unique liaison directe entre le Royaume-Uni et le Canton de Vaud : Southampton – Montreux opéré par la compagnie Aquila Airways.  
Et de Montreux aux Avants, il n’y a que quelques kilomètres, et surtout un dénivelé de 600 mètres permettant de la neige à profusion et une température idéale pour la solidification de l’eau en glace. Un gigantesque hôtel de luxe – Le Grand Hôtel des Avants – fut construit au pied duquel on installa une patinoire naturelle. Nous étions à l’aube du XXe siècle et ces riches messieurs et dames s’adonnaient à la pratique du curling (importé lui aussi de Grande-Bretagne, mais par les Écossais) et… au hockey sur glace. D’un sport de récréation à une vraie équipe il n’y a qu’un pas. Il fut franchi en 1904. La même histoire se déroulait sur le versant opposé de la vallée où coule la Baye de Montreux, au-dessus de Glion, où le HC Caux naissait quasiment en même temps aux environs du Caux-Palace niché sur un éperon rocheux visible loin à la ronde. Parallèlement, Vevey voyait le club du HC Bellerive naître en 1905 tout comme Lausanne et «ses» deux clubs (CP Lausanne en 1905 et La Villa à Ouchy), Leysin son Sporting-Club et Villars son célèbre HC. Les sept clubs vaudois avaient inventé la ligue romande de hockey sur glace en compagnie du HC Servette de la ville du bout du lac. Ces huit clubs se réuniront en 1908 à Vevey pour créer l’actuelle Ligue Suisse de Hockey sur Glace. Et à partir de là, l’histoire connue est documentée. À noter encore que c’est aux Avants que le premier championnat d’Europe de hockey sur glace a été organisé en 1910 (comme le témoigne le site de la fédération internationale de hockey sur glace), c’est le Royaume-Uni qui remporta le trophée, évidemment… Au chapitre des titres, le HC Les Avants remportera 3 fois le championnat international en 1912, 1913 et 1917.

et décadence…

La crise de 1929 est malheureusement passée par là. Oui, évidemment, la date correspond (aussi) au refus du peuple suisse de l’initiative dite «contre l’eau de vie» demandant l’interdiction de la fabrication et la vente de boissons distillées. Ça a sauvé le Valais, mais le Black Tuesday de l’autre côté de l’Atlantique a définitivement tué le tourisme de masse en Suisse romande pour les vingt années qui ont suivi. Le HC Les Avants n’y a pas survécu, ni même le Grand Hôtel (revendu à une école privée américaine) ou l’ancien Hôtel de Jaman – autre fleuron de l’hôtellerie de luxe de la station dont la robinetterie était en or et en argent – racheté et détruit la même année par un consortium zurichois, laissant un trou béant au milieu du village encore visible aujourd’hui. 

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de ces temps glorieux. Les Avants est redevenu un village paisible à quelques minutes du centre montreusien et les clubs vaudois de hockey sur glace de solides prétendants aux ventres mous des classements de ligues inférieures. Des huit clubs fondateurs, aucun n’a survécu. De fusions en rattachements, de faillites en désintérêt, ces huit pionniers ont disparu dans les tréfonds de l’Histoire. Les clubs suisses allemands tiennent le haut du classement depuis des décennies même si le petit-fils genevois donne parfois du fil à retordre aux leaders modernes.

 

Aux Avants, il est encore possible d’admirer ce qui fut le premier vestiaire d’une équipe de hockey en Suisse. Une petite cabane perdue au milieu d’un champ, sur le seul endroit vraiment plat du village. Un champ qui – il y a plus d’un siècle – était la patinoire du fier HC Les Avants. Notons enfin que la patinoire naturelle du village a survécu jusque dans les années 1990. Pour faire une surface de jeu avec de l’eau et de l’huile de coude, il s’agissait de disposer de plusieurs jours à une température de -7 °C au maximum (pour que le sol gèle), une couche de neige suffisamment épaisse pour pouvoir la tasser à l’aide d’un rouleau en béton, et des nuits à arroser ladite surface. Point de Zamboni ! Pour pouvoir jouer au hockey sur glace, pas moins de 10 cm d’épaisseur de glace étaient nécessaires. Le dernier responsable de la patinoire est le postier des Avants à la retraite, c’est aussi mon grand-père que je remercie ici pour m’avoir conté cette épopée, et prêté les photos originales de la patinoire au début des années 1900.

Écrit par Vincent Keller

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26 Commentaires

  1. Superbe article! On se croirait revenu en ces temps héroïques, et je suis sûr que de tels récits ne sont trouvables nulle part ailleurs!

    Sinon, une toute petite correction: il faudrait parler de ‘la solidification de l’eau en glace’ car la fusion, c’est le contraire!

    Encore merci.

  2. Ca c’est du journalisme. Si seulement les plumitifs du torchon orange et autres canards ayant la prétention de relater les événements sportifs dans nos contrées pouvaient en prendre de la graine!

  3. Sympa. Et si l’histoire du tourisme en Suisse t’intéresse, je ne saurais que recommander chaleureusement la lecture de l’ouvrage de Laurent Tissot, professeur à l’Université de Neuchâtel : « Naissance d’une industrie touristique, les Anglais et la Suisse au XIXe siècle ». C’est un livre d’histoire qui se lit comme un roman 🙂

  4. Superbe article! Les grands-parents de mon épouse sont aussi des Avants, et je ne connaissais pas cette histroire. On m’a parlé du tremplin de skis et des courses de skis qui s’y déroulaient à l’époque. J’ai aussi des photos du début du siécle du village!
    Toujours beaucoup de plaisir de retourner au chalet familial.
    Peut-être des connaissances en commun là-haut…

  5. Merci pour cet article bien documenté et bien écrit, c’est le top.
    Juste une petite correction : en 1929 c’était un Black Thursday et non un Black Tuesday, mais je pinaille on est bien d’accord.

  6. Très bon article, très intéressant. Bravo!
    Ne manquez pas de remercier votre grand-père pour ce témoignage certainement unique !

  7. Rectification: Je me joins à vous pour remercier votre grand-père pour ce témoignage, et merci à vous de nous le transmettre!

  8. Actuellement je rédige un siècle de hockey à Lyon (Fr). Ceci doit vous intéresser.
    Le samedi 17 décembre 1904, à 22h00 au Palais de glace de Lyon, le S.C.Lyon rencontre l’Association des Clubs Suisses Romands (S.C.Leysin – H.C.Les Avants) et gagne par 3 à 1 (2 buts de KIMMERLING et 1 de AUBERT), monsieur BINDING arbitre ce match ; composition des équipes – Les Avants : Max SILLING, Edouard MELLOR, V. EXCHAQUET (avants), Louis DUFOUR (cap.), O. AUCKENTHALER (arrières), CARVELET (but) ; S.C.L. : KIMMERLING, SERVE, AUBERT (avants), D. LEHMANN, TARDY (arrières), MAGHERINI (nouveau joueur dans les cages). La presse suisse commente ce mach : « les buts au Palais de Glace ne mesuraient que 1 mètres de large sur 60 centimètres de hauteur et étaient défendus constamment par quatre joueurs au lieu d’un ».
    Le samedi 28 janvier 1905, le Sporting Club de Lyon se rend en Suisse afin d’affronter la sélection romande des Avants. L’altitude, la surface de glace, la dimension des cages, le temps de jeu, une balle au lieu d’un palet, ont raison du S.C.L. qui s’incline par 3 à 1. Composition des équipes : Les Avants, but : X – arrières : DUFOUR (cap.), AUCKENTHALER – avants : RED, Max SILLING, MELLOR ; S.C.L., but : MAGHERINI – arrières : D. LEHMANN, H. ROMAN – avants : KIMMERLING, SERVE, AUBERT. Arbitrage : RITCHARD. La rencontre est suivie d’une descente en bobsleigh. Aux Avants, les cours de tennis situés au pied du Grand Hôtel sont transformés l’hiver en patinoire, cependant les aléas climatiques n’assurent pas une glace tous les jours. Durant ce mois de janvier un premier déplacement aux Avants a été annulé pour cette raison.
    Règlementation. Les équipes suisses jugent la piste du Palais de Glace trop petite, la leur mesure 100×60 m. Même remarque pour les cages qui ne mesurent que 1m de large et 0.60m de haut, alors que chez eux, la norme en vigueur est de 1,83m par 1,22m. En Suisse le palet est une balle. Le temps de jeux est de 2 fois 20 minutes à Lyon contre 2 fois 30 en Suisse. Le nombre de joueurs doit être de 7 par équipe : 3 avants, 1 « vagabond » (rover en anglais) sans place définie et qui prend le nom de demi, 2 défenseurs et 1 gardien de but. En conclusion, la Suisse pratique le Bandy et non le Hockey sur glace.
    Par contre pour l’illustration de mon historique m’autoriseriez-vous à publier la photo HC Les Avants open air? en vous remerciant par avance.

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