La ballade des gens heureux ! (bis)

Ainsi donc la Suisse a remporté la première Coupe Davis de son histoire. Cher lecteur, tu jugeras l’importance de ce titre à l’aune de la valeur que tu lui accordais depuis maintenant une dizaine d’années. Tu ressentiras peut-être une forme d’indifférence, en te disant que, finalement, ce n’est pas l’exploit sportif suisse qui te fera le plus bondir de ton siège. Tu témoigneras aussi possiblement d’un certain soulagement qui t’empêchera d’être totalement euphorique après cette victoire en te disant qu’elle n’est juste que l’accomplissement logique d’une génération dorée qui eut été honteuse de ne pas soulever le Saladier pendant qu’elle en avait l’occasion. Je préfère personnellement esquiver ces deux états d’âme pour partager avec toi les impressions qui sont les miennes après ce week-end.

Pour comprendre le sentiment d’allégresse qui habite bon nombre de supporters helvétiques en cette fin de mois de novembre 2014, on pourrait remonter à plusieurs moments clés de l’histoire plus ou moins récente du tennis suisse où l’impression générale était de proclamer que le Saint Graal échapperait toujours à notre nation. J’ai repensé à plusieurs moments douloureux au moment d’entamer ce week-end, en me disant que la roue allait, devait, définitivement tourner. Personnellement, il y a eu cette demi-finale en Australie en 2003 où Rodg sert pour égaliser à deux matches partout au moment où ce brave Lleyton retrouve durant les deux heures suivantes un niveau qu’il semblait avoir laissé derrière lui. Une année plus tard, Stan est laissé de côté à Malley et voit ses «potes» Heuberger et Kratochvil se ramasser contre les Tricolores de l’époque. Enfin, en 2012, Federer refait son apparition dès le premier tour d’une campagne de Coupe Davis. Fiasco monumental à Fribourg, où la Suisse est écartée dès le samedi après-midi par les USA. D’aucuns, moi y compris, doutaient alors sérieusement que cette équipe puisse un jour se donner les moyens et surtout être en condition de remporter le Saladier dans les années à venir. Ajoute à cela la semaine rocambolesque qui aura précédé les premiers coups de raquettes de cette finale et tu comprendras que l’atmosphère sentait la poudre au moment d’entamer les hostilités.  

Vendredi 19h30 : A peine le temps d’arriver à l’apéro que la première journée est déjà terminée. La déception et l’inquiétude ont rapidement succédé à l’enthousiasme qu’avait généré la victoire de Stan. A vrai dire, à ce moment-là, on était probablement une majorité à penser que l’imbroglio créé à propos du dos de Roger constituerait in fine le tournant de cette finale.
Samedi 10h00 : Tu essayes tant bien que mal de te remettre de tes émotions et tu tombes alors sur le verbatim des conférences de presse. Federer semble décontracté, confiant en ses possibilités de défendre valablement ses chances durant le reste du week-end. Tu esquisses une moue dubitative mais au fond de toi tu as envie de croire en un sursaut du Maître. Tu te dis alors que ce serait tellement énorme et tu t’en voudrais de ne pas y avoir cru immédiatement.
Samedi 15h00 : Remonté comme une pendule, tu débats avec tes potes de l’endroit le plus adéquat pour assister à ce double qui doit décider d’une tendance sans doute irrémédiable dans ce week-end de Davis. L’option du Bamee Bar semble alors proposer de nombreux avantages. On sait que certaines plumes de CR et du vrai-faux blog de Marc Rosset y sont les tauliers. Du coup, comme on a envie de passer ces deux jours décisifs dans une véritable ambiance partisane, on opte rapidement pour ce choix. Marco et le reste de l’équipe nous accueillent tout de suite les bras ouverts. L’adage est le suivant : «si tu viens pour passer un bon moment, encourager les gars au chasuble rouge et accessoirement boire un ou deux coups, on va passer quelques heures assez mémorables.»

Samedi 16h : Le premier set en poche, les chants se succèdent dans une ambiance qui devient de plus en plus chaude. Le temps de synchroniser les deux télévisions, tu enchaines les théories sur l’état de santé de Rodg et l’entente entre nos deux boys. Le déroulement du match rassure tes camarades mais les balles de break tricolores te rappellent à l’anxiété qui te prenait avant ce double et plus globalement depuis notre victoire contre les Azzuris. A l’image de ceux de l’assemblée du Bamee, les nerfs de la paire suisse tiennent bons. Ils breakent Gasquet au meilleur des moments pour concrétiser un deuxième set qui sonne comme le chant du cygne pour le Biterrois, au coup droit trop hésitant sur l’ensemble du match, et son partenaire Julien Benneteau. La tension laisse de plus en plus place à la fête à mesure que «Fedrinka» semble quasiment injouable pour les bleus et que Marco enchaine les tournées de Jägi. Même Rory concède volontiers que la finale du championnat d’Irlande de tennis féminin en 1969 n’était pas de ce niveau.
Samedi 17h30 : Tu aperçois Francis sembler plus au turbin que nos champions olympiques. Il doit enchainer les raclettes alors que la paire suisse n’a pas à puiser plus que de raison dans ses réserves pour faire définitivement la différence dans cette confrontation. Seule une agitation externe viendra quelque peu perturber l’atmosphère festive et sereine du Bamee lorsque plusieurs dizaines d’ultras genevois et lausannois ont cru bon d’utiliser l’Avenue de la Gare comme un ring de boxe. Cela n’entravera que quelques instants l’euphorie grandissante accompagnant les derniers jeux de services de notre duo. La balle de match est suivie d’une belle scène de congratulation générale et plus personne ne doute alors que la journée du lendemain sera à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire (du sport) suisse.
Dimanche 11h : Tu vas lire les dernières informations concernant les rencontres du dimanche. Entre deux éloges sur la perf’ de notre double la veille, tu apprends que Tsonga n’est pas en mesure de tenir sa place. Tu te demandes alors s’il l’a été un moment depuis le début du week-end ou si les larmes versées la veille ne cachaient pas plutôt en réalité une terrible déception de sa part de ne pas pouvoir revendiquer un rôle plus important dans le sort de cette rencontre. Tu prends le chemin du Bamee en te disant que si la Suisse venait à s’incliner le soir venu tu ne croiras plus à grand-chose de ce qui fait tes convictions en matière de sport.

Dimanche 13h : Le Bamee est chauffé à blanc ! Pour dire la vérité, la tension ne se ressent pas vraiment. Personne n’ose imaginer un scénario défavorable à l’équipe de Suisse. Pourtant, le public français y croit et n’hésite pas à siffler Rodgeur lors de son premier jeu de service. Une première dans sa carrière ? Peut-être, reste que les sifflets demeurent relativement timides et n’inquiètent pas plus que ça le meilleur joueur de l’histoire, ni la confiance générale qui règne dans le bar alors que les premières raclettes et les premiers Jägi apparaissent à ton serviteur et à ses camarades comme un précieux allié pour attaquer une journée qui, au pire, pourrait être un marathon. Sur le court, Federer prend rapidement la mesure de Gasquet, ne lui laissant que des miettes sur ses jeux de services.
Dimanche 14h15 : L’ambiance devient proprement électrique au Bamee et bascule irrémédiablement dans le mythique. Alors que Rodg fomente un break décisif en fin de deuxième set, un air de ballade s’observe sur le court… et résonne dans le bar. «La ballade des gens heureux» est alors entonnée pour la première fois, et largement pas la dernière, de l’après-midi. Fidèles à eux-mêmes, Francis enchaine les raclettes et Marco offre une énième tournée de Jägi.
Dimanche 15h02 : Le Maître mène 5-2 et 40-0 sur son service. Le Saladier d’Argent resplendit en arrière-plan au moment où le Bâlois lance sa balle pour effectuer un dernier service. Dans le bar, tu t’es levé depuis longtemps. A vrai dire, pas grand monde n’a passé plus de deux minutes sur sa chaise pendant ce troisième set. Les chants se succèdent et l’excitation est aussi évidente que la domination exercée par Federer sur Richard depuis 2 heures. Rodg te sort à ce moment un ultime coup de génie, une amortie parfaite pour écrire l’histoire ! Tu perds alors en quelque sorte le sens commun et tu fais tout et n’importe quoi. N’importe quoi, comme dans «Aux Champs-Elysées» que nous entonnons en forme d’hommage, un peu, de provocation, aussi, envers nos amis français.

Dimanche 16h00 : L’ambiance ne redescend pas ! Avec tes camarades, tu provoques des bouchons sur l’Avenue de la Gare mais dans une ambiance autrement plus pacifique que quelques heures auparavant. Tu as juste envie de fêter l’un des moments les plus accomplis de l’histoire du sport de ton pays. Le petit détour devant la gare dans une tenue qu’Adam n’aurait pas reniée atteste de longs moments de célébration qui, je le crois, resteront dans les mémoires.
Dimanche 18h : «La ballade des gens heureux» retentit dans le Bamee. Tu déploies ta plus belle tessiture comme quatre heures auparavant. La fête est belle, elle ressemble à une douce ballade qui vient conclure une année 2014 de tous les superlatifs pour le tennis suisse. La ballade des gens heureux, c’est d’abord la balade de Rodgeur. Lui qui aura retrouvé l’intégralité de ses moyens cette saison et aura écrit un nouveau chapitre en lettres d’or à son indescriptible carrière. La ballade des gens heureux, c’est ensuite celle de Stan. Cette année, le p’tit gars d’ici est devenu un géant. Oui un géant ! N’ayons pas peur des mots. Outre sa victoire phénoménale à Melbourne et son accession au trio de tête de la hiérarchie mondiale, Stanley aura mérité plus que personne d’autre le gain du Saladier d’Argent. Il a d’ailleurs conclu la campagne en s’affichant comme le véritable patron de l’équipe et nous a maintenus à flot vendredi quand le besoin s’en faisait vraiment impérieux. La ballade des gens heureux c’est aussi celle des autres membres de l’équipe. Et il ne faudrait pas les oublier. Certes, Marco et Michael n’auraient jamais remporté la Coupe Davis en tant que joueurs ni Sévé en tant que coach sans nos deux énormes champions. Mais ils ont contribué, tout comme les membres de leurs staffs respectifs, Pierre Paganini en tête, à mettre dans les conditions propices la victoire Stan et Rodgeur. La ballade des gens heureux c’est enfin celle de tous ceux qui s’identifient à cette équipe de Coupe Davis. Que ce soient les milliers de supporters suisses présents à Lille, ceux qui auraient voulu s’y rendre, ceux qui ont passé ce week-end dans les fan-zones, dans les bars, chez eux avec des amis ou je ne sais quoi, chacun peut se réjouir de ce triomphe. Parce que le propre d’immenses champions tels que le sont Stan et Roger, c’est aussi de transcender les gens, de parvenir à susciter exemple et admiration quel que soit notre degré d’attachement au tennis ou au sport en général. Pour cela et pour tout le reste, MERCI LES GARS !!!

Écrit par Pascal Cretegny

Commentaires Facebook

4 Commentaires

  1. Dans les putains de moments douloureux, il y a ce quart de finale contre la France à Neuchâtel en 2001, où George Bastl obtient une balle de rencontre après le week-end de Coupe Davis le plus fou (à égalité avec la finale 1996) qu’il m’ait été donné de voir (on se souviendra notamment du match hallucinant de Rosset contre Clément; de la nuits des longs couteaux le vendredi, du double magnifique et enfin de ce putain de dernier match).

  2. Hé les gars fallait nous faire jouer Laaksonen et Marty !

    Je suis français et j’ai adoré la victoire des suisses tellement les Tsonga, Gasquet, Benneteau sont surcotés avec un mental de souris de laboratoire.

    Bravo la Suisse !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.