L’Allemagne est l’avenir du foot : la descente aux enfers

Après le titre mondial de 1990, l’Allemagne va connaître une décennie et demie de longue descente aux enfers, marquée par quelques exploits isolés mais surtout par une série de revers cuisants. Avant de toucher le fond en 2004, aussi bien sportivement qu’économiquement.

A partir de 1990, les résultats du football allemand ont commencé à décliner, tant au niveau des clubs que de l’équipe nationales. Certes, l’Allemagne reste l’Allemagne : contrairement à des pays comme l’Italie (Euro 1992), la France (Euro 1988, Coupes du Monde 1990 et 1994) ou l’Angleterre (Coupe du Monde 1994, Euro 2008) qui, en période creuse, ont carrément été exclus de grands tournois, il y a outre-Rhin une telle culture du football et du résultat que l’Allemagne n’a jamais complètement quitté le devant de la scène. Même en période de vaches maigres, il y a eu quelques résultats de premier plan. Toutefois, ces succès s’apparentaient plus à des exploits isolés ou aux derniers soubresauts d’une génération déclinante qu’à l’émergence d’une nouvelle suprématie.  

Quelques éclairs dans la grisaille

La Mannschaft devient championne d’Europe en 1996 mais en s’appuyant encore beaucoup sur l’ancienne génération. Son contingent offensif ne faisait guère rêver : Jürgen Klinsmann tirait ses dernières cartouches, le héros de la finale Oliver Bierhoff ne s’est révélé qu’au crépuscule d’une carrière longtemps restée anonyme, alors que Fredi Bobic et Stefan Kuntz n’ont jamais dépassé le stade d’honnêtes attaquants de Bundesliga, sans plus. Le Borussia Dortmund champion d’Europe en 1997 s’appuyait sur une ossature constituée de quatre champions du monde de 1990 (Jürgen Kohler, Stefan Reuter, Andy Möller et Kalle Riedle). Vainqueur de la Ligue des Champions en 2001, le dernier grand succès international du foot allemand avant celui du 25 mai prochain, le Bayern Munich comprenait une forte colonie étrangère et les cadres allemands de l’équipe (Kahn, Linke, Effenberg, Scholl, Fink ou Tarnat) avaient tous dépassé la trentaine.
En 2002, il y a eu les perdants magnifiques de Leverkusen, finalistes de la Ligue des Champions (battus par le Real de Zidane) et de la Coupe du Monde (défaits par le Brésil de Ronaldo). Mais ces épopées dépendaient plus de quelques individualités isolées (Carsten Ramelow, Bernd Schneider, Michael Ballack) que d’un renouveau collectif. D’ailleurs, en pleine Coupe du Monde asiatique, le toujours diplomate Franz Beckenbauer déclarait au sujet des joueurs de la Mannschaft : «A l’exception de Kahn, il faudrait mettre tous les autres dans un sac et taper dessus. On serait certains de toucher quelqu’un qui le mérite.» Il est vrai que l’accession de la Mannschaft de Rudi Völler à la finale cette année-là tenait plus d’un bienheureux concours de circonstances et d’un tableau favorable que d’une réelle qualité de jeu : 1-0 sur un but d’Oliver Neuville à la dernière minute contre le Paraguay en 1/8, 1-0 en 1/4 contre les Etats-Unis après qu’une main allemande sur la ligne eût été oubliée à 0-0 et enfin 1-0 en 1/2 contre une Corée du Sud exténuée par des prolongations héroïques contre l’Italie et l’Espagne. D’ailleurs, cette équipe-là ne provoquera pas un enthousiasme débordant au pays, rien à voir avec l’engouement incroyable que généreront Coupes du Monde et Euro depuis 2006. Paradoxalement, le parcours de cette Allemagne s’arrêtera le soir où elle réalisera son meilleur match, en finale contre le Brésil, trahie par celui qui l’avait portée à bout de bras jusque-là, son gardien Oliver Kahn.

Des échecs en veux-tu en voilà

Mais en dehors de ces quelques coups d’éclat ponctuels, la faillite du système de formation du foot allemand et son incapacité à produire des footballeurs de classe mondiale a fini par déteindre sur les résultats. Cela a commencé par l’échec en finale de l’Euro 1992 contre le modeste Danemark puis lors des Coupes du Monde 1994 et 1998 en quart de finale contre la Bulgarie et la Croatie, des adversaires que la grande Allemagne aurait sans doute laminés quelques années auparavant. Pire, lors de l’Euro 2000, la Mannschaft finit bonne dernière de son groupe avec un seul point au compteur et surtout une défaite humiliante 3-0 contre un Portugal déjà qualifié qui alignait ses remplaçants. Le tableau n’est guère plus réjouissant du côté des clubs, qui font de moins en moins souvent illusion en Coupes d’Europe. Encore première à l’indice UEFA en 1990, la Bundesliga passe deuxième en 1991, troisième en 1993 et quitte le podium pour la première fois depuis 1973 en 1996. En 2005, la Bundesliga glisse même à la cinquième place, à des années lumières de l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie et même derrière la France ! Entre 2002 (Feyenoord – Dortmund) et 2009 (Donetsk – Brême), on ne trouvera pas trace d’un club allemand dans une finale européenne. Et l’Allemagne ne peut même pas tirer quelques motifs d’espoirs de ses sélections juniors puisque celles-ci n’arrivent généralement plus à se qualifier pour les phases finales des championnats européens ou mondiaux.

Sans le sou

Cette déchéance s’explique non seulement par les erreurs commises en termes de formation mais aussi par une situation économique précaire. En 2000-2001, le lancement de la chaîne Premiere, la première télévision payante à retransmettre la Bundesliga en direct, se solde par un échec retentissant, sans doute dû en partie à la faiblesse du jeu présenté. Dans la foulée, le groupe Kirch, qui détenait les droits télévision de la Buli, fait faillite en avril 2002. Un sauvetage d’urgence est mis sur pied pour sauver les droits télévision mais les clubs subissent tout de même un important manque à gagner. Et cet échec marquera durablement les diffuseurs au moment de négocier les droits télévision nationaux, lesquels resteront durablement inférieurs aux autres championnats majeurs européens. Il faudra ainsi attendre 2012 et un duel de titans entre Sky (successeur de Premiere) et Telekom pour que le rééquilibrage s’opère et que les droits TV nationaux de la Bundesliga dépassent ceux de la Ligue 1 et se rapprochent des montants touchés par la Serie A et la Liga (enfin, par le Barça et le Real), toujours à bonne distance de la Premier League. Quant aux droits TV internationaux, ils confinent au néant, la Buli n’avait plus aucun crédit à l’étranger et personne n’aurait eu l’idée saugrenue de payer pour en acquérir les droits.
La situation économique est d’autant plus compliquée que l’Allemagne a toujours été pénalisée par une fiscalité lourde et pénalisante sur les hauts revenus, bien loin des mesures de dumping fiscal opérées en Espagne ou en Angleterre pour les footballeurs. Et ce n’est pas Uli Hoeness qui nous contredira… En outre, la perspective de la Coupe du Monde 2006 contraint les clubs à financer, généralement eux-mêmes, sans le soutien des pouvoirs publics, la reconstruction des stades, ce qui impliquera des investissements lourds et un endettement massif. Et comme les clubs ne parviennent plus à former des jeunes joueurs de talent, il n’y a même pas la possibilité de revendre ses meilleurs éléments à l’étranger, où le footballeur allemand est totalement déconsidéré, pour réinjecter des liquidités dans le système. Ainsi donc, à la faillite sportive, est venue s’ajouter un environnement économique qui n’était plus du tout compétitif. Ainsi les clubs allemands, à l’exception dans une certaine mesure du Bayern Munich, n’avaient même pas les moyens d’aller chercher à l’étranger les footballeurs de qualité qu’ils n’arrivaient plus à former. 

Au fond du bac

Le football allemand touchera le fond en 2004. Cette année-là, lors de l’Euro portugais, la Mannschaft, après un nul honorable contre la Hollande en ouverture, ne parvient pas à battre la modeste Lettonie (0-0), qui inscrivait là l’unique point de son histoire dans un grand tournoi, avant de sombrer contre des Tchèques déjà qualifiés et évoluant avec leur équipe B.
Normalement, diriger l’équipe de son pays pour une Coupe du Monde à domicile devrait constituer le rêve de tout entraîneur. Mais le niveau du foot allemand paraît tellement désastreux que, suite à la démission de Rudi Völler après le fiasco portugais, les deux candidats naturels à sa succession, Otto Rehhagel, champion d’Europe en 2004 avec la Grèce, et Ottmar Hitzfeld, artisan des deux derniers grands succès du foot allemand avec les Ligues des Champions 1997 et 2001, déclinent le poste. Par peur de voir leur nom et leur prestige associés à une élimination honteuse à domicile au 1er tour, qui paraissait tout à fait plausible à l’époque. C’est finalement un troisième choix, un néophyte qui n’avait rien à perdre, Jürgen Klinsmann, qui acceptera d’aller au casse-pipe. 
En Ligue des Champions, lors de cette saison 2003-2004, Dortmund tombe dès le tour préliminaire contre Brugge (ce qui aura des conséquences dramatiques sur les finances du club), alors que le Bayern et Stuttgart ne passent pas le cap des huitièmes de finale. Même en Coupe UEFA, les clubs germaniques ne font plus illusion : repêché, Dortmund est étrillé 6-2 au total en 32ème de finale par… Sochaux, alors que Schalke tombe contre les Danois de Bröndby, le Hertha Berlin contre les Polonais de Grodzisk, Kaiserslautern contre les Tchèques de Teplice et Hambourg contre les Ukrainiens de Dniepropetrovsk, tous au 1er tour. De telle sorte que la Buli n’est même plus représentée dès les seizièmes de finale ! Sur le coefficient UEFA de l’année 2003/2004, l’Allemagne ne figure qu’en quinzième position, derrière les championnats tchèques, hongrois ou norvégiens…
Pire, l’un des plus beaux fleurons du foot national, le Borussia Dortmund, Traditionsverein le plus populaire du pays, premier club allemand vainqueur d’une Coupe d’Europe (Coupe des Coupes 1966) et de la Ligue des Champions nouvelle version (1997) est sérieusement menacé de faillite. Le 14 mars 2005, une réunion de crise avec les créanciers dans un entrepôt glauque de l’aéroport de Düsseldorf permet de sauver de justesse le club mais au prix de mesures d’austérité qui semblent considérablement limiter les perspectives sportives dans les années à venir. Des finances exsangues, des joueurs moyens, une formation en panne, une situation économique absolument plus compétitive et des résultats médiocres, le football allemand touche incontestablement le fond en cette année 2004. A l’époque, il eût paru complètement loufoque d’envisager l’hypothèse, moins de dix ans plus tard, d’une finale de Ligue des Champions 100% germanique, surtout pas avec l’agonisant Dortmund. Et pourtant…
Si tu as manqué le début : L’Allemagne est l’avenir du foot : la chute

Écrit par Julien Mouquin

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3 Commentaires

  1. Magnifique « papier » qui permet de bien mettre en lumière la remontée en puissance du foot allemand!
    Continue comme ça, c’est un plaisir de te lire!

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