Le banc n’était pas si long

Saucissonnés dans leur nouvelle combinaison de plongée, les Suisses ont partagé l’enjeu avec une Croatie qui semble être à un même niveau d’inquiétude quant à l’approche du mois de juin. Car dans un camp comme dans l’autre, on a pu apprécier à quel point nos équipes avaient le profil d’honnêtes huitièmes de finaliste mondiaux, ni plus, ni moins. Et pour la Nati, alors qu’on croyait que les interrogations principales concernaient l’attaque, le constat fut surtout qu’un problème est parfois un arbre qui cache une forêt amazonienne (pas encore touchée par le déboisement).

Quand on a appris que le match se jouerait à guichets fermés quelques jours en avance, on s’est réjoui avec de naïves pensées comme : «Aaaah l’enthousiasme du public se fait sentir à l’approche de la Coupe du Monde… bla bla… le 12ème homme… bla bla… l’effervescence ne fait que commencer… bla bla… comme en 2006.» Mais une fois dans le stade, on a vite déchanté car les vrais supporters étaient croates, à tel point qu’on avait la vilaine impression de jouer à l’extérieur. Et on s’est rendu compte qu’on avait quand même trouvé ça bizarre, effectivement, un (si grand) enthousiasme suisse. Sur la pelouse, le test que l’on attendait allait avoir lieu : Drmic était titularisé. C’était la grande interrogation de ces dernières semaines. Quel numéro 9 pour partir à l’attaque ?

Recherche avant-centre désespérément

Lors des dernières sorties de la Suisse, Seferovic tenait cette place. Mais il a manifestement des disputes animées avec sa copine qui lui font passer la nuit au poste. Une grosse engueulade sans violence apparemment, on n’en est donc pas encore à un point aussi dramatique que de se taper une gamine de 17 ans qui se prostitue comme Ribery ou de fracasser une bouteille à la gueule d’un mec comme Derdiyok (sur le coup j’ai trouvé qu’une vanne sur Pistorius était de mauvais goût). Les non-performances en club du joueur de la Sociedad sont davantage en cause pour expliquer son absence du terrain hier soir.

Si l’on regarde les choses en face, on se prend à être effrayé par les critères qui pourraient donner crédit à l’un ou l’autre de ces joueurs tant ils sont légers : Haris est champion du monde M17, Josip marque des buts dans un club qui lutte contre la relégation, Eren a l’expérience d’avoir été un joueur de foot à une époque, Mario a arrêté de s’engueuler avec tout le monde à Zurich et Admir peut sans doute casser un mur en brique avec son front…
Certes ils sont jeunes, certes il y a du talent par-ci, par-là. Mais tout de même, c’est à un Mondial que l’on va cet été. Et rien ne pourrait faire plus mal que de commencer à regretter Frei et Streller. Ça serait comme être nostalgique de Hans Schaudi et de Lieselotte qui nous apprenaient tant de choses ou des cassettes audio qui étaient si pratiques à rembobiner.
Alors oui, hier, Drmic a marqué les esprits et deux superbes buts de vrai attaquant opportuniste, technique et puissant. Le joueur semble être dans une forme énorme. Mais ce film-là, on le vit à répétition. Une fois c’est Gavranovic, une fois c’est Seferovic, quand on ne remonte pas encore plus loin à penser aux désastreux Vonlanthen ou Derdiyok. Mais on choisira de rester positif et d’envisager que le joueur de Nuremberg a réellement émergé et continuera dans cette voie. Parce que les autres problèmes présentés hier prennent bien assez de place dans nos inquiétudes.

Des remplaçants qui grincent

Depuis deux ans, beaucoup de supporters de la Suisse se réjouissent du nombre de bons joueurs à disposition, de la nouvelle génération qui offre un éventail de possibilités et d’un nouvel état d’esprit joueur qui anime le groupe. En gros, on se réjouit d’avoir «la meilleure équipe nationale de tous les temps», concept qui nous a bien réussi en hockey sur glace à Sotchi.
Mais il va falloir être honnête à un moment. La réalité c’est que l’on a une colonne vertébrale de titulaires plutôt plaisante mais pas exceptionnelle non plus, tout en étant absolument irremplaçable. En gros, si l’un des Lichtsteiner, Rodriguez, Shaqiri ou des Napolitains se blesse, c’est déjà la catastrophe. Mais encore faut-il que ces joueurs soient en forme. Car, quand on repense à la piètre performance du latéral de la Juventus ou à l’engagement très léger d’un Xhaka, on ne peut pas vraiment dire que notre équipe à un profil de 8ème FIFA.
La seconde période a bien prouvé ce phénomène de carence en équipe B. Outre la performance collective catastrophique, certains joueurs étaient clairement indignes de prendre un avion pour Rio. En tête de ceux-ci, Mehmedi qui ne sert définitivement à rien. Il est quand même un peu problématique qu’un joueur confonde «attaquer» avec courir tout droit et «défendre» avec faire des fautes. Un Schwegler n’a pas été aussi catastrophique en soi, mais son impact athlétique de crevette ne pourra jamais suppléer Inler. Quant à Lang, il n’a pas pâti de la comparaison avec Lichtsteiner mais ce dernier avait été tellement mauvais qu’on ne peut pas y voir une si bonne nouvelle.

Le cas Barnetta, ombre du joueur qu’il fut à une époque, est aussi sujet à doute. Un ancien champion d’Europe M17 m’avait narré l’état d’esprit irréprochable que Tranquillo avait déjà en ce temps-là : positif, intelligent et excellent créateur de liens entre les différentes communautés linguistiques au sein du groupe. Dans l’optique d’une compétition, ce genre de mec apparaît comme indispensable.
Parce que savoir vivre ensemble et cloisonné pendant plusieurs semaines à l’autre bout du monde est également un enjeu tout aussi primordial que ce qu’il se passe sur le terrain. En vue d’affronter dans les groupes une équipe bien meilleure mais remplie d’individualistes qui, il y a quatre ans, se montèrent les uns contre les autres et finirent par faire la grève, cela peut être un petit point positif dans notre escarcelle.
Tout cela paraît une bien maigre consolation au regard de ce qui s’est passé hier soir. Si les médias, ce matin, vantent une moitié de match réussie par la Nati, il faut tout de même relativiser la qualité de la chose. Deux buts issus exclusivement de deux exploits individuels de Drmic et une défense déjà limite. Et en face, Mandzukic et Modric n’étaient pas là pendant les 45 premières minutes. Le parallèle avec l’équipe croate est flagrant. On n’a pas été très bons quand ils ont été mauvais et on a été mauvais quand ils n’ont pas été très bons. D’où la vraie question qui découle de ce match : que vaut réellement la Croatie ?
Photos Pascal Muller, copyright EQ Images

Croatie – Suisse 2-2 (2-1)

Croatia-Arena, 17’200 supporters croates, dont quelques Suisses disséminés ici ou là (guichets fermés).
Arbitre : M. Campos (Portugal).
Buts : 34e Drmic 0-1, 39e Olic 1-1, 41e Drmic 1-2, 54e Olic 2-2.
Croatie : Subasic; Srna, Corluka, Lovren (57e Schildenfeld), Pranjic; Males (56e Modric), Rakitic (88e Vukojevic); Perisic (75e Milic), Kovacic (56e Eduardo), Olic; Jelavic (46e Mandzukic).
Suisse : Benaglio; Lichtsteiner (62e Lang), Djourou, Von Bergen, Rodriguez; Behrami (46e Schwegler), Inler (62e Dzemaili); Shaqiri (46e Mehmedi), Xhaka (79e Gavranovic), Stocker (79e Barnetta); Drmic.
Cartons jaunes : 42e Lichtsteiner, 79e Srna, 86e Olic.

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5 Commentaires

  1. On peut toujours rappeller Alexandre Rey en attaque. Rey rules!

    Perso, je trouve qu’on va être pas mal du tout à cette coupe du monde si personne se blesse, l’équipe est solide et Shaqiri va tout casser au Brésil. Ce joueur est simplement fabuleux

  2. L’enthousiasme du public, … l’effervescence, … comme en 2006 …

    Un bien beau blabla pour quelqu’un qui tape sur Frei.

    Moi, je le regrette. Et je pense que je le regretterai toujours.

    Merci Alex !

  3. Comme Jo. La Suisse va s’empêtrer contre les Sud Américains et se planter royalement. Forcément, quand on affronte plus fort que l’Islande ou la Slovénie…

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