Les petits soldats de l’autre ballon ovale

Deux matches de foot américain en un week-end, ça signifie près de 100.000 spectateurs, 250 joueurs, et 7h de spectacle/sport/ennui (terme encore à trancher) ! Quoi qu’il en soit, un rite presque incontournable pour s’imprégner de la culture américaine…

Au menu du samedi, un petit Harvard-Yale, duel de prestige des grandes puissances académiques qu’on imagine habituellement se tenir à distance, entre rats de bibliothèques et autres académiciens usant leurs velours côtelés sur d’historiques banquettes boisées. Une fois par an pourtant, le combat se fait d’homme à homme, au froid, sous les vivats notamment des alumni respectifs, qui profitent de l’occasion pour célébrer des retrouvailles remplissant les bars de Cambridge (version Massachusetts donc et non UK) le temps d’un week-end. 
Pour les deux équipes, qui l’accueillent en alternance selon la saison, c’est le match de l’année. Ni une finale, ni un match décisif, c’est pourtant «The Game». Le fer à cheval servant d’arène depuis 1903 aux Crimson («pourpres», le surnom des équipes sportives de Harvard) est à guichets fermés (31’062 spectateurs) ; on essaye alors de se remémorer, par exemple, un match de foot EPFL-EPFZ qui se serait hypothétiquement déroulé à la Pontaise devant plus de 30.000 spectateurs…«The Game», c’est aussi une scène médiatique pour des blagues de potache entre adversaires ou même de la part du MIT (Massachussets Institute of Technology), voisin de Harvard. Les assidus (ainsi que Youtube…) se souviennent que l’une des plus brillantes, en 2004, fut la distribution de cartons de couleur par des étudiants de Yale camouflés en pourpre. Sages et obéissants comme au quotidien, les braves Harvardiens participèrent ainsi à un tifo peu glorieux affichant «We suck» ! Malheureusement, pas de facétie à l’enseigne de l’édition 2014…
Sur le terrain à proprement parler, les nobélisés en puissance ne sont a priori pas légion, car tout laisse à penser que le regard des décideurs évite parfois les relevés de notes lorsqu’il s’agit d’engager des athlètes pouvant faire tinter la caisse de la billetterie et contribuer à la réputation de l’institution. Des livres en plus sur la balance mais des livres en moins dans la cervelle ? Des petits soldats pseudo-académiciens que l’on envoie guerroyer au nom de l’élite ? En tous cas, de la chair à canon, il y en a à foison ! Près de 80 joueurs par équipe (alors que la NFL n’en accepte « que » 46 sur la feuille de match), prêts à rentrer, si on a bien compris, en fonction de l’hyper-spécificité de chaque situation stratégique.

Pas moins de 80 joueurs par équipe !!

La tactique échappe alors largement au profane du Vieux-Continent, qui se contente de suivre béatement le ballon et l’évolution du score. Harvard restait sur douze victoires lors des treize dernières rencontres, mais ce fut chaud bouillant cette fois, avec une féroce remontée de Yale de 24-7 à 24-24 au dernier quart-temps, tout ça pour se faire planter un touchdown à 55 secondes de la fin… 
La fin du match donc, mais pas du week-end, car bien que guère convaincu par l’intérêt intrinsèque du spectacle, ce fut rebelote le dimanche pour l’étape ultime, à savoir la NFL. Et si « The Game » était impressionnant pour un championnat universitaire, la ligue pro écrase tout sur son passage. Tous les billets de la saison vendus en quelques heures en juillet (rien à moins de 90$), 16’500 places de parking autour du stade (à 40$ ! et sans compter les multiples parkings temporaires organisés par les commerces alentours), une patrouille aérienne pour saluer la foule (Sherkan, aux Vernets, peut aller se rhabiller), la Heineken à 12$,… Le ton est donné et il est plus aux gros billets verts qu’à la plaisanterie.
La NFL, du moins lorsqu’il ne pleut pas, c’est aussi l’impression de se sentir un peu dans son salon : le wi-fi nickel, le porte-gobelets devant son siège et une sono à faire pâlir d’envie les acousticiens des stades helvétiques (même si, à leur décharge, il est difficile de faire des miracles avec le schwytzertütsch). L’après-midi s’écoule ainsi au rythme des explications incessantes du speaker-commentateur suite à chaque action, tout en assistant sur les écrans maousses aux ralentis de la partie en cours ainsi qu’à ceux du match de MLS simultané des New England Revolution, hôtes secondaires du Gillette Stadium.
D’ailleurs, encore plus que leurs colocataires, les Patriots font honneur à leur nom. Pas seulement en étant cette saison la meilleure équipe de la ligue (grâce notamment à la victoire du jour 34-9 face aux Detroit Lions) ou en reprenant fièrement les couleurs américaines… Non, ce jour-là, un hommage pour le moins appuyé était rendu aux serviteurs de la patrie au fil du match : un blessé de guerre ovationné par le public, un vétéran aux états de service héroïques venant chercher réconfort dans l’admiration des foules, puis un petit coucou par Skype sur écran géant (!) à des soldats stationnés au Koweit. Tout ceci entre quelques messages de remerciements aux familles des actifs et vétérans et sans mentionner la démonstration de sabre à la mi-temps… Ueli Maurer en a rêvé, les Patriots l’ont fait ! Pour ma part, je me contenterais volontiers d’un salut au Lt Col Karl-Heinz Inäbnit.

Le foot US, c’est comme l’armée suisse !

D’ailleurs, un match de foot US, c’est un peu comme à l’armée : « attendre pour courir et courir pour attendre », des séquences de jeu ne dépassant pas les dix secondes, des stratégies que peu de joueurs doivent pleinement saisir… Sauf que le NFLer moyen court sans paquetage et en à peine plus de 10 secondes aux 100m.
Quoi qu’il en soit, qu’importe le score, chaque avancée significative est célébrée par des sauts à tout-va et des séances d’autocongratulation (inter)minables. Comme si les footballeurs ou hockeyeurs se sautaient dessus fièrement à l’obtention d’un bon coup-franc ou d’une pénalité adverse… Au vu du nombre de joueurs en uniforme, cela ressemble vite à une cour de récré ou à un essaim d’abeilles excitées et, à la vingt-cinquième petite danse et scène d’hystérie collective peu naturelle, la lassitude gagne le béotien. Pas sûr qu’il y ait d’autres tentatives de saisir l’essence du ballon ovale à la sauce américaine…
Cet article constitue le second volet d’une mini-série sur les sports US qui s’étendra sporadiquement jusqu’à l’été 2015, CartonRouge étant représenté jusque-là outre-Gouille.

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3 Commentaires

  1. Article très intéressant et bien écrit. Énorme le « we suck ». Assez incroyable la rivalité entre les Universités américaines. C’est plus tranquille en suisse !

  2. Merci pour cet article, ravi de trouver un peu de sport US sur le site. C’est vrai que le phénomène du sport universitaire est fascinant vu d’Europe, et particulièrement me semble-t-il pour ce qui est du football, dont le championnat me paraît plus populaire que la NFL.
    Par contre, pour ce qui est de courir le 100m en 10 secondes, je dirais « wide receiver (voire half back) moyen » plutôt que « NFLer », parce que je pense que bon nombre de linebackers pro auraient de la peine à courir 100 m en une minute ! En même temps, comme un 1e base en baseball, ils ne sont pas là pour courrir. C’est notamment cette hyper spécialisation des joueurs qui rend à mes yeux le foot US passionnant, et déconcertant dans un premier temps.

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