Marc Rosset, le capitaine

Séverin Lüthi, Roger Federer, Stan Wawrinka, les seconds couteaux et la Coupe Davis, voilà le menu de cette troisième partie de notre Place des Grands Hommes. Marc Rosset, le capitaine, les vérités, les regrets et les mises au point. «Je ne me vois pas expliquer à un 150ème mondial pourquoi il doit s’entraîner 4 heures par jour…» Ça tombe bien, nous non plus ! Alors Marc, ça ne te manque pas le tennis ?

Être capitaine de Coupe Davis, ça ne te manque pas quand tu vois ce pantin de Lüthi à ta place ?Tout d’abord je ne suis pas d’accord avec la vision qu’ont les gens de Séverin Lüthi. Il ne serait pas l’assistant de Federer depuis tant d’années s’il n’y connaissait rien au tennis… De mon côté, ça ne me manque pas, non. Capitaine, je l’ai fait parce qu’on m’a demandé de le faire. Et puis j’étais capitaine-joueur car je ne voulais pas laisser ma place en tant que joueur. Ensuite ça devenait plus compliqué, alors je n’étais plus que capitaine. Ça ne me dérange pas de n’être plus capitaine. J’ai bien sûr été déçu par la façon dont ça s’est passé. Mais ce n’est pas non plus une énorme déception. J’y ai pensé un mois et je suis passé à autre chose.
De plus, pour ne rien vous cacher, il y avait des trucs que je n’aimais pas quand j’étais capitaine. Il y avait des trucs fantastiques et d’autres qui me décevaient. Quand je jouais avec Hlasek, Grin, Mezzadri et Deniau, quand on partait en Coupe Davis, on y allait. On tirait tous à la même corde. Thierry Grin, par exemple, ne jouait pas les matches mais il était prêt à passer 8 heures sur le court comme sparring-partner. Si tu avais besoin d’un mec qui te serve une heure dessus pour entraîner ton retour, le mec y allait. C’était une époque plus difficile qu’aujourd’hui, on n’avait pas l’infrastructure qui existe maintenant autour de l’équipe. A savoir que si t’étais numéro 1, 2 ou 3, tu avais droit aux massages etc. Les autres rien. On a développé et structuré l’encadrement de l’équipe après la finale de Fort Worth.
Quand j’étais capitaine, j’ai repris Georges Deniau et on a essayé de faire des camps d’entraînement comme à l’époque. Et on s’est retrouvé à convaincre des mecs qui étaient 150ème mondial du bien-fondé de s’entraîner 4 heures par jour durant une semaine. Les mecs ne voulaient pas, sous prétexte qu’il s’entraînaient différemment durant le reste de l’année. Alors bon, si Roger vient vers toi et te dis «écoute Marc, je vais m’entraîner une heure demain car ensuite je dois faire autre chose.» Tu lui dis pas de problème parce que Roger il connaît son truc. Mais si c’est des mecs qui sont 150ème mondial qui t’expliquent comment ils doivent s’entraîner, j’ai plus de peine. J’en parle ouvertement parce que je le leur ai dit ouvertement à l’époque. Bref, travailler dans ces conditions ne m’intéressait pas. 
Ça paraît quand même hallucinant. Pour un 150ème mondial, jouer la Coupe Davis, ce devrait être un truc incroyable, non ?
Ce qui n’est pas bien en Coupe Davis en ce moment, c’est que le 150ème mondial peut la jouer. Il est peut-être là le problème. Parce qu’en France, le 150ème mondial joue les challengers et regarde la Coupe Davis à la télé. Il y a une émulsion différente dans le groupe français et les mecs se battent pour jouer. Si le capitaine veut un footing à 8h du mat’, ils font le footing. Quand t’es assuré en tant que 150ème mondial de faire partie du groupe, c’est quoi ta motivation ? Après, si un joueur reste 8 ans 150ème mondial, j’ai envie de dire qu’il s’entraîne faux et qu’ensuite, il devrait écouter des mecs qui ont été 10ème mondial et un ancien entraîneur qui a déjà gagné la Coupe Davis…
Je veux bien faire du sur-mesure pour Federer ou pour Wawrinka, mais pour le reste non. Mon comportement et mes idées ne collaient pas avec ces gens-là. Si j’avais eu 4 Wawrinka, ça m’aurait fait chier de me faire virer. Car là tu pars avec 4 mecs sympas qui ont envie de bosser. Mais dans ma situation, je n’avais pas envie de faire du baby-sitting, d’expliquer pourquoi il fallait s’entraîner, pourquoi j’avais choisi cet hôtel-là et pourquoi j’avais choisi telle compagnie d’aviation. Je n’ai pas vécu la Coupe Davis comme ça avec Deniau et Jakob, je ne la conçois pas comme ça.

Mais au final, si on t’enlève du poste de capitaine, c’est qu’on va dans la facilité, on ne froisse personne et on ne s’étonne pas qu’aujourd’hui l’équipe ait une image un peu molle.
Honnêtement, non. L’important en Coupe Davis c’est les joueurs. Eux doivent se sentir bien. Le capitaine et l’entraîneur doivent rester dans l’ombre. Alors je comprends que ça peut être troublant pour un joueur d’entrer sur un terrain où on scande le nom du capitaine. Je comprends tout à fait qu’un Roger ou qu’un Wawrinka aient besoin d’un mec calme à leurs côtés. Pour l’instant, ils ont l’air de plutôt bien fonctionner. Et à ce propos, je ne suis pas d’accord avec les critiques concernant Séverin Lüthi. C’est un mec qui connaît le tennis. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de discuter avec lui, il connaît bien le tennis, très loin de l’image du porteur de sacs de Roger qu’on lui colle. Il faut que les gens comprennent ça. Il a une bonne vision du jeu, il a un bon sens tactique. Encore une fois, on lui fait le délit de sale gueule.
Ok, mais on a quand même l’impression que cette équipe subit et qu’il lui manque quelque chose. On attend les décisions de Roger, ensuite on fait avec, il n’y a pas vraiment de vie, de plan…
Quand tu coaches un Federer, tu n’as pas besoin de t’exciter sur ton banc. Le seul défaut de Lüthi, c’est qu’il ne semble pas être capable de galvaniser un mec. De le faire jouer 2 crans au-dessus de son niveau. Chaque fois que Roger n’est pas venu jouer, on n’a jamais vu un gars se sublimer. C’est peut-être ça son seul défaut, mais ça reste à prouver. C’est sa nature d’être calme et le discours passe peut-être tout aussi bien dans la longueur que le discours d’un excité qui fait des «come on» à chaque point. Lüthi est loin d’être con et il connaît le tennis de haut niveau, sincèrement.
Quels rapports as-tu aujourd’hui avec l’équipe de Coupe Davis ?
J’ai des bons rapports avec Roger, on communique par sms, on s’appelle. Avec Bohli aussi. Par contre j’ai des rapports plus compliqués avec Stan. Il y a eu des choses mal interprétées de part et d’autre, des incompréhensions.
Ça date de l’époque où tu étais capitaine ?
En tant que capitaine, je n’ai qu’un seul regret : ne pas avoir fait jouer Stan à Malley contre la France. Je le regrette vraiment et m’en suis excusé mille fois. C’est la seule fois où je n’ai pas écouté mon instinct. Alors que j’avais pris ma décision, j’ai discuté avec Roger dans les couloirs de l’hôtel, avec d’autres gens aussi, et à la fin ils ont réussi à me convaincre que Heuberger avait fait de bons matches et qu’il méritait sa chance. Ils m’ont retourné le cerveau et j’ai pris la mauvaise décision ! La gestion a été particulièrement difficile avec Stan car je lui avais annoncé qu’il jouerait…
Et quand tu vois le match de Heuberger… (silence) Ce n’est pas le problème de se prendre une caisse, mais tout est dans l’attitude. Et il a eu une attitude de merde, je m’en suis bouffé les doigts ! Il y a des rencontres où si je t’expliquais pourquoi je n’ai pas joué le simple, mais le double, tu ne me croirais pas. C’était une partie à trois coups d’avance où j’ai suivi mon instinct en pensant que ça allait marcher. La seule fois où je n’ai pas suivi mon instinct, c’est sur ce match-là et je le regrette encore.
Il y a aussi eu l’an dernier des commentaires de ma part mal interprétés au moment où Stan avait décidé de ne pas jouer Gstaad et Bâle. Il m’a répondu par presse interposée. J’ai ensuite pris mon téléphone pour lui expliquer ce que j’avais dit et le sens de mes propos. Cette situation m’ennuie. C’est un joueur que j’aime beaucoup, un mec que j’aime bien. Mais c’est comme ça.
Autre sujet, ton licenciement, on a dit qu’il y avait de la rancoeur…
Non, il n’y a pas de rancoeur. Je comprends les joueurs. J’ai de la rancoeur contre certains membres de l’encadrement, des gens avec qui j’ai travaillé des années qui auraient pu me parler directement, me lancer un coup de fil. Ils ne l’ont pas fait. Mais je n’ai aucun souci avec la décision des joueurs. J’ai toujours milité pour que ce soit les joueurs qui choisissent le capitaine. A condition que le choix soit crédible bien entendu. On ne va pas mettre sa grand-mère comme capitaine ! J’ai eu la peau d’Oberer pour des raisons personnelles à l’époque. J’ai fait une liste de 3-4 mecs et on a choisi en équipe. Je ne conteste donc pas ça.
J’attendais juste autre chose de certaines personnes. Par exemple, quand on a pris la décision d’évincer Jakob Hlasek, j’ai pris mon téléphone et je l’ai appelé avant que la moindre communication ne soit faite. Je voulais lui en parler directement. C’est un mec avec qui j’ai gagné Roland Garros en double, avec qui j’ai disputé la Coupe Davis, on était amis, c’était à moi de lui dire. Il m’en a voulu car il pensait que c’était ma décision, ce qui n’était pas le cas. Je le comprends aussi, car j’aurais certainement pu influencer les joueurs pour qu’il reste le capitaine.
Je me suis toujours battu pour que les joueurs puissent choisir leur capitaine. Et à l’époque, il y avait un petit jeune, Roger Federer, qui est numéro 2 et qui doit gagner des matches parce que je ne peux pas tout gagner tout seul. Et le petit jeune voulait travailler avec Claudio Mezzadri, c’est avec lui qu’il se sentait le mieux. Dont acte, parce que moi au final, peu m’importe. Et si lui gagne des matches et que j’en gagne, on a gagné la rencontre, c’est aussi simple que ça, point.
Et avec Hlasek donc, c’est un peu froid ?
Oui et non. Quand on se voit, on se salue, il n’y a pas de souci, même si ce n’est plus ce que c’était. Mais je peux te jurer sur la tête de ma mère que l’histoire s’est passée comme je vous l’ai dit, sans autre sous-entendu. Maintenant, la situation est ce qu’elle est, c’est dommage.

C’est d’autant plus dommage que le réservoir suisse n’est pas énorme et que c’est d’autant plus intéressant de rassembler les énergies !
C’est pour ça que René Stammbach est un très bon président. Tu peux aller le voir et lui dire que t’aimerais bien travailler pour les jeunes, il t’écoute et trouve des solutions. Quand on y pense, moi je fais mes combines, Jakob est dans l’immobilier et Mezzadri fait des chemises à Lugano : c’est con de se dire qu’il n’y a pas un ancien joueur qui s’occupe un peu du tennis suisse ! Heinz Günthardt s’est occupé 5 à 7 ans de Steffi Graf, c’est quand même débile qu’il ne s’occupe pas du tennis féminin. Si Federer arrête dans quelque temps, lui et Lüthi doivent pouvoir partager leur expérience avec d’autres personnes. Bref, René essaie de fédérer et de ramener des gens dans le monde du tennis, c’est très bien.
Et Federer, il est obligé de jouer la Coupe Davis l’année prochaine ?
Il va certainement jouer le premier tour, après je ne pense pas.
Ça ne te choque pas ?
S’il joue le premier tour, qu’on gagne et qu’on reste dans le groupe mondial, c’est déjà un bon progrès par rapport aux autres années, non ?
Mais c’est du gâchis ! 
Federer, tout le monde pense qu’il est fini et que, vu qu’il est fini, ce serait le moment de gagner la Coupe Davis. J’aimerais juste dire que Roger est en finale à Roland Garros en battant Djokovic en demi-finale. A l’US Open, il a deux balles de match, ça se joue à pas grand-chose. Comme il le dit lui-même, les matches qu’il gagnait avant, avec peut-être un brin de chance, maintenant il ne les gagne plus forcément. Il a effectivement une marge de manoeuvre moins imposante. Mais il sait exactement comment il doit se préparer, combien de matches il doit jouer pour être en forme en Grand Chelem. Alors ok, il a peut-être perdu contre Tsonga et je ne sais qui, mais il a encore le potentiel pour gagner un ou plusieurs Grands Chelems. 1, 2, 4, j’en sais rien.
Autant que ça ?
Djokovic fait une saison extraordinaire, il suffit qu’il soit moins bon l’année prochaine ou qu’il se blesse, que Nadal soit moins en forme aussi, et Roger sera là ! Il ne prend pas non plus 6-2 6-2 6-2 contre Nadal ou Djokovic. Il n’est pas à des années lumières. Il faut donc remettre les choses en place. Peut-être qu’il n’en gagnera pas, mais peut-être qu’il en gagnera un ou plusieurs. Il en a le potentiel et il est dans la course.
Mais à terme, il va mettre la priorité sur la Coupe Davis ?
L’année prochaine il y a les JO et il ne va pas pouvoir tout faire à fond. Il va donc falloir faire des choix. Je ne suis pas sûr que le Coupe Davis soit une priorité, même si c’est quelque chose qui manque sur sa carte de visite.
De plus, il y a quatre ans, Roger c’était 2 ou 3 points assurés en Coupe Davis. Maintenant, ce n’est plus le cas. Il faut que Stan gagne ses matches. Et en Coupe Davis, il y a aussi un facteur chance. Si tu joues l’Espagne chez toi ou l’Espagne en Espagne, ce n’est pas le même match. En Suisse on n’a que deux joueurs, pas quinze ; il faut donc que les mecs ne soient pas blessés. Il y a beaucoup de paramètres mais une chose est sûre : la fenêtre se raccourcit d’année en année. Mon inquiétude est que le jour où Roger décide d’en faire une priorité, ça sera peut-être trop tard…
Et on ne pourra pas lui en vouloir ?
16 Grands Chelem ! Tu veux quoi de mieux ? Ok, il n’a peut-être pas gagné la Coupe Davis pour son pays, mais il a fait rêver des millions de gens. Y’a rien à dire.

Mais tu ne penses pas qu’une année, en plus des Grands Chelems, il aurait pu la gagner avec Stan ?
Ça, c’est ce qu’on peut penser. Mais pour gagner 16 Grands Chelems, on n’a aucune idée de ce que ça lui coûte. C’est un travail énorme. On le voit gagner des tournois du Grand Chelem et on se dit «mais pourquoi il ne rajoute pas 4 rencontres de Coupe Davis ? Deux petits simples, un double, ça n’a pas l’air compliqué. C’est 12 matches en plus par an, ce n’est pas la mort non plus». Mais personne n’est là au quotidien avec lui pour voir le travail nécessaire pour gagner 16 Grands Chelem. Sans les plages de repos, il n’aurait peut-être pas gagné autant de Grands Chelem, on ne sait pas. Par contre, on ne peut que lui donner raison : il a su gérer son truc, il a gagné 16 Majeurs et c’est le meilleur joueur de tous les temps. C’est tout. Je n’ai pas de problème avec ça, loin de là.
Allez on insiste, peut-être que de gagner une Coupe Davis avec la Suisse c’est aussi bien qu’un ou deux Majeurs ?
Non sérieux, je n’ai aucun souci avec ça. Le seul petit problème, c’est que Federer a bénéficié de l’aide financière de la fédération et qu’en ne jouant pas la Coupe Davis, il ne fait pas gagner d’argent à la fédération. Et honnêtement, quand je le vois faire une exhibition avec Nadal en hiver pour une fondation, j’aimerais bien le voir une fois faire quelque chose pour Swiss Tennis. Ce serait bien qu’il puisse donner un coup de main à la fédération. Maintenant, avec son image et tout ce qu’il fait pour le tennis en général, la fédération en bénéficie indirectement. Je ne connais pas non plus les comptes de la fédération pour me permettre ce genre de critique, mais j’espère simplement qu’un jour, il fera quelque chose pour Swiss Tennis, pour la relève du tennis suisse. 
Si tu as manqué le début : Marc Rosset et son vrai-faux blog et Marc Rosset, sa vie, son œuvre
A suivre : Marc Rosset, ses passions, ses potes

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