Russie : la fin d’un mythe

Toute une génération de Romands a été marquée par le jeu collectif de l’équipe d’URSS, de la grande machine rouge des années 70 à la KLM des années 1980. Leur jeu était à vrai dire fabuleux, poussant le collectif jusqu’à l’extrême avec des combinaisons extraordinaires. Cependant, la défaite mortifiante de la Russie contre l’extraordinaire Finlande (1-3) est le verdict logique et définitif de ce qu’on savait déjà mais que certains ne voulaient pas admettre : la Sbornaja n’arrive pas à remporter un tournoi où les meilleurs joueurs du monde sont présents et, pire, les Russes n’ont pas réussi à prendre le train du hockey moderne au XXIème siècle.

CCCP

A la Coupe Spengler, aux Jeux Olympiques ou aux Championnats du monde, la domination de l’Union soviétique (CCCP) était totale, écrasante. On avait l’impression qu’ils étaient huit sur la glace ou qu’ils étaient à l’entraînement. Et quand ils marquaient, ils ne levaient pas les bras et souriaient rarement, repartant à l’engagement pour continuer le massacre.
Le hockey des années 80, pour nous, c’est « l’Unité verte », appelée comme cela en raison de leur maillot distinctif à l’entrainement, soit le bloc Fetisov et Kasatonov à l’arrière, Krutov, Makarov et Larionov (KLM) devant. Ces cinq ont joué jour et nuit ensemble, au CSKA Moscou et en équipe nationale dès leur années juniors, pendant près de 10 ans. Ils ont gagné cinq Championnats du monde, une Canada Cup (1981) et deux médailles d’or olympiques (1984 – 1988). Seul un miracle à Lake Placid avait barré la route de l’or à la bande à Tikhonov, en 1980, la pire défaite de sa carrière.
Leur jeu était sublime, mais il faut aussi dire qu’un tel collectif résultait d’un régime totalitaire qui permettait de sélectionner les meilleurs et les obliger à jouer ensemble, quotidiennement, tant au niveau du club qu’en équipe nationale.
Car il ne faut pas oublier que l’Union soviétique avait décidé, après la Deuxième Guerre Mondiale, d’embrasser le hockey, qui n’existait pas dans son pays, et de devenir la meilleure nation du monde à des fins de propagande politique : l’illustration que le collectif est plus important que l’individu, et que le régime communiste était supérieur à l’Occident.
Et Dieu ce qu’ils ont réussi, sur le plan du hockey. Le produit fini, en particulier la magnifique équipe des années huitante qui a sans doute développé le plus beau jeu collectif, tous sports confondus, fut sans aucun doute une des plus belles réussites d’un régime qui, en passant et il ne faut pas l’oublier, a été l’un des plus meurtriers de l’Histoire de l’humanité.
Pendant toutes ses années, nous admirions ce collectif mais oubliions trop souvent ici en Europe qu’il y avait un certain Wayne Gretzky, le meilleur joueur de hockey de tous les temps, et d’autres, qui brillaient de l’autre côte de l’Océan, et que nous ne voyions jamais. Donc, les Soviets écrasaient continuellement leurs adversaires, mais sans jouer contre leurs vrais rivaux. Un peu comme une absence de Nadal durant toute la carrière de Federer.

Après la chute du Mur de Berlin cependant, tout a changé. Dans les années 90, les Européens ont commencé à migrer de manière massive en NHL, ce qui n’a fait que d’en élever le niveau, avec la nouvelle richesse du hockey du Vieux Continent. C’est ainsi qu’au tournant du XXIème siècle, le hockey a augmenté en vitesse, des tirs plus puissants avec l’aide de cannes en fibre de verre, un jeu stratégique beaucoup plus évolué, des corpulences plus grandes. Au fur et à mesure où les immenses champions comme Larionov ou Fetisov, partis en NHL au début des années 90, prenaient leur retraite, la relève russe possédait certes des qualités techniques, mais pas la force mentale et l’esprit d’équipe si essentiels pour élever le hockey à des sommets. Les Mondiaux de St-Petersburg, où la Russie s’est fait lamentablement sortir au premier tour, était le précurseur de ce qui allait venir.
Toutefois, beaucoup dans les médias romands, dont la TSR/RTS, avaient fait perdurer le mythe. Eric Willemin est ses successeurs connaissaient en réalité très mal la NHL. Ainsi, ils portaient dans leur commentaire une admiration sans faille pour le jeu russe. En même temps, ils véhiculaient le stéréotype du jeu nord-américain physique moins évolué, se basant parfois sur les équipes bout de bois présents aux Championnats du monde ou aux JO avant 1998. Ainsi, ils se persuadaient que les Russes étaient toujours aussi forts, puisqu’ils remportaient de temps en temps les Championnats du monde, criant au génie par exemple lors de leur victoire à Berne en 2009. Mais encore chaque fois en face, sans les meilleurs joueurs de NHL.

C’était une illusion, un mythe

En effet, il n’y avait pas besoin de suivre la NHL pour comprendre en fait que les Russes étaient en retard et largués. Depuis qu’enfin les joueurs de NHL pouvaient venir aux JO, et que la Sbornaja était confrontée aux meilleurs joueurs du monde, plus aucun JO remporté. Echecs en 1998, 2002, 2006 et 2010. D’ailleurs, l’analyse des quatre finales des JO est révélatrice : deux matchs ennuyeux et défensifs (Tchéquie – Russie en 1998 ; Suède-Finlande en 2006) et deux matchs étincelants, parmi les plus beaux de tous les temps (Canada – USA en 2002 et en 2012).
Et la situation ne faisait que de s’empirer : la défaite de Vancouver contre le Canada (7-2 après 29 minutes de jeu) fut une humiliation. Un état des lieux sanglant. Les Russes furent surclassés par les Canadiens.
Et aujourd’hui, le désastre de Sotchi. Tout ou rien pour Poutine, Ovi et le peuple russe. Ça sera rien. Politiquement, c’est le désastre, car une victoire de la Sbornaja devait être un symbole de la réussite de la nouvelle Russie, tout comme l’équipe soviet l’était pour le régime communiste. A se demander si le Premier ministre russe ne va pas reconstruire le village olympique en Sibérie, comme au bon vieux temps.
Aujourd’hui, le constat sans appel : le hockey russe est un hockey secondaire qui n’a pas évolué. Faire des petits solos à la Coupe Spengler contre des mercenaires fatigués, c’est bien joli ; remporter des Championnats du monde où la plupart des meilleurs joueurs sont absents donne l’illusion de grandeur. C’est moins facile lorsqu’en face on retrouve un vrai adversaire. En 2012, Malkin s’est promené aux CM 2012, menant par ses exploits individuels son équipe au titre. Mais quelques jours avant, contre les Philadelphie Flyers, le même joueur s’était complètement fait neutraliser (et éliminer) dans les play-offs de NHL.

Non, le hockey moderne est un sport qui ne se gagne pas grâce à des individualités, non seulement la vitesse et les qualités techniques sont importantes, mais surtout l’esprit d’équipe, la préparation mentale, les blocs défensifs, les shifts courts, les plus grandes stars qui acceptent un temps de glace restreint et des rôles très spécifiques, tant offensifs que défensifs. Voilà ce qui permet d’élever le hockey à un niveau stratosphérique. Les Américains du Nord l’ont compris. Et visiblement les Finlandais aussi. 
La belle Finlande a sans doute réalisé un des plus grands exploits de son histoire en surclassant les pauvres Russes hier après-midi. Selanne, un Dieu pas seulement en Finlande, mais aussi à Anaheim et Winnipeg (quelle réception à son retour en 2012 !) et Granlund ont chacun marqué sur un assist de l’autre. Pour la petite histoire, ce dernier est né quelques jours après la fin des JO de 1992, alors que le no 8 Finlandais y avait participé ! Dans Teamu, il y a Team, et la Finlande en était une, malgré les absences de trois centres clés, Barkov, Filppula et Koivu, contrairement à son adversaire. Magnifique. 
Tretiak avait dit avant le tournoi : il faut que chacun retrouve l’Armée Rouge intérieure.
Le talent, la technique et le patinage des Russes que l’on apprécie est toujours la. C’est le moment plutôt pour les Russes d’oublier l’Armée Rouge, de révolutionner et moderniser leur coaching, leur mentalité et de prendre le train du hockey du XXIème.

Écrit par Andy Tschander

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3 Commentaires

  1. @essemo

    Bien sûr essemo – merci de la correction.

    Lors de la Canada Cup de 1987, la plus grande série de l’histoire, la grande Russie était composée de la KLM (Krutov-Larionov et Makarov) comme première ligne, et Bykov, Khomutov et Kamensky en 2ème ligne. Ces derniers étaient sûr la glace lors du goal victorieux de Lemieux sur passe de Gretzky dans le match décisif d’une magnifique opposition de styles.

    3 ans plus tard, Bykov et Khomutov arrivaient à Fribourg pour apporter leur immense talent et complicité au Championnat Suisse

  2. Très bon article avec une bonne explication historique du système de hockey URSS et la différence de mentalité du hockey et des hockeyeurs russes de nos jours. Bonne explication du hockey moderne et quelle belle victoire des Finlandais avec du team spirit, du coeur et qui allaient sur chaque puck. Hyvää Suomi !

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