Saga des cartons rouges : la mascarade de Nuremberg

Cette semaine, retour sur un match resté dans les annales pour ses fautes, ses avertissements et ses expulsions. L’histoire de la Coupe du Monde compte dans ses rangs des matchs restés soi-disant tristement célèbres pour le spectacle qui a été proposé au spectateur lambda. Parmi ceux-ci la bataille de Nuremberg qui a opposé en 2006 le Portugal aux Pays-Bas. Le moins que l’on puisse dire, c’est que notre saga n’aurait pas été complète sans un bref retour sur le match le plus haché de l’histoire de la Coupe du Monde.

Lieu : Frankenstadion de Nuremberg.
Date : 25 juin 2006.
Match : Portugal – Pays-Bas (1-0) en 8ème de finale.
Le fautif : Valentin Ivanov.
La victime : Un peu tout le monde.

Le contexte :

A ses débuts, la Coupe du Monde a régulièrement offert au public des matchs célèbres pour leur côté musclé qui a bien souvent dépassé le cadre de ce qui est permis au football. Par exemple en 1938, lors de la première Coupe du Monde en France, lorsque le Brésil et la Tchécoslovaquie s’affrontent en quarts de finale, plusieurs joueurs doivent abandonner la partie sur blessure. A l’époque on ne pouvait en aucun cas remplacer un joueur blessé, autant dire que les mecs ne simulaient pas ! Pour preuve, le gardien tchécoslovaque Planicka ira jusqu’au bout des 90 minutes avec une fracture du bras. De nos jours, on l’aurait probablement évacué par hélicoptère. On surnommera plus tard cette rencontre la bataille de Bordeaux qui verra tout de même trois joueurs se faire exclure comme des juniors. En effet, en 1938 les cartons n’avaient pas encore été inventés et l’arbitre communiquait les expulsions de manière orale, un peu comme pour les gamins évoluant en juniors E : «N° 5, viens voir ici ! C’est grave ce que tu as fait, tu sais ? Tu n’as pas le droit de donner un coup de pied à ton adversaire lorsqu’il est à terre. Entraîneur !  Il faut le sortir un moment ce gamin s’il vous plaît !» Ce qui est complètement débile dans cette histoire de vieux papy qui a vécu la Guerre, c’est que le match se terminera par un match nul 1-1 et qu’il sera rejoué deux jours plus tard avec des équipes totalement remaniées.
En 1954, un autre quart de finale, surnommé par la suite la bataille de Berne, oppose à nouveau le Brésil et une équipe de l’Est, la Hongrie cette fois-ci. Sur une pelouse du Wankdorf détrempée, le match dégénère totalement en deuxième mi-temps. Invasion du terrain, petites rixes entre joueurs et coups gratuits rythment une deuxième mi-temps qui verra au final l’élimination de la Seleção. Tout comme lors de la bataille de Bordeaux, trois joueurs sont au final exclus. Un autre match datant à peu près de la même époque aura l’honneur et le privilège d’être qualifié de bataille. Il s’agit d’un certain Chili – Italie de 1962. Un match absolument scandaleux se déroulant à Santiago, où plusieurs mêlées se produisent dès le début du match, obligeant même la police chilienne (forcément pas très neutre) à intervenir pour séparer des joueurs. Il faut dire que le match se déroule dans un contexte politique tendu, deux journalistes italiens ayant dû fuir pour avoir ouvertement critiqué le pays hôte dans un article. Ce match que l’on connaît mieux aujourd’hui sous le nom de bataille de Santiago restera ainsi probablement comme le match de Coupe du Monde le plus violent de l’histoire.


Chili 1962 : l’époque où les joueurs finissaient presque en tôle.

Plus proche de nous, un certain Pays-Bas – Brésil (décidément le Brésil est un spécialiste) de la Coupe du Monde 1974 en Allemagne. Une affiche qui fait rêver tout le monde, qui voit notamment Johan Cruijff et Rivelino s’affronter. Une rencontre où devaient s’opposer le fameux football total néerlandais et le jeu léché brésilien. Au final ce sera le football charrue de 5ème ligue qui en sortira vainqueur. Sur la pelouse de Dortmund, tout y passe : cisailles à mi-terrain, tacles deux jambes en avant, placages dignes d’un bon All Blacks – Springboks, cette fausse demi-finale a toutes les caractéristiques d’une bonne bataille. Mais au final, seul le Brésilien Luis Pereira verra rouge, nul doute que l’arbitre aurait dû en sortir 2 ou 3 de plus. En dépit de sa violence, le surnom grandiloquent de bataille ne sera pourtant pas appliqué à ce match-ci.
Nous le voyons, à ses débuts notamment, la Coupe du Monde a été marquée par quelques rencontres que l’on a qualifiés de batailles. Les ancêtres des footballeurs d’aujourd’hui se muaient donc parfois en vrais sauvages. C’est ce genre de rencontre (notamment la bataille de Santiago) qui va conduire à l’invention de ces chers cartons jaunes et rouges en 1970. Après une longue absence, c’est en 2006 que le qualificatif de bataille surgit à nouveau. Nous sommes le 25 juin 2006 au Frankenstadion de Nuremberg, en huitièmes de finale pour être complet. En cette soirée, le Portugal qui comporte de nombreuses stars affronte les Pays-Bas, une équipe relativement jeune comportant de nombreuses graines de stars et quelques vieux briscards. Il est certain qu’à ce stade de la compétition, les matchs sont tous tendus mais cela ne peut en aucun cas expliquer les raisons pour lesquelles cette rencontre va dégénérer. On peut éventuellement invoquer une demi-finale de l’Euro disputée deux ans plus tôt, mais ce match n’avait pas spécialement marqué les esprits pour sa violence.


Un joli saut de cabri.

Les faits :

Difficile de relater un fait bien précis, car il faut bien avouer que cette rencontre est un gros carton rouge à elle toute seule. L’épisode qui met probablement le feu aux poudres, reste l’intervention assassine de l’artiste Khalid Boulahrouz sur Cristiano Ronaldo. Une intervention après  7 minutes de jeu où le défenseur batave exécute un véritable coup de pied de karaté à la hauteur de la cuisse du Portugais. Pour une fois, on ne peut pas accuser l’idole des groupies portugaises d’en avoir rajouté. Il sortira d’ailleurs 30 minutes plus tard suite à cette intervention musclée. On se demande encore comment l’arbitre de la rencontre n’a pu qu’avertir l’ancien défenseur de Chelsea. Le reste de la rencontre est une succession de petites rixes, simulations et provocations en tout genre. Tour à tour des stars comme Wesley Sneijder, Rafael Van der Vaart, Deco ou Luis Figo se livrent à des gestes d’antijeu flagrants. Que ce soit des tacles grossiers,  des tirages de maillots, des petites poussettes ou des roulades de GI, les 22 acteurs, qui ne seront à la fin de la rencontre plus que 18, s’en donnent il est vrai à cœur joie.
A y regarder de plus près, les fautes commises sont, la plupart du temps, des fautes où se cachent de jolis sauts de cabri et d’immondes simulations. Les quatre expulsions de la rencontre sont toutes des doubles avertissements plus dus à des gestes d’antijeu relativement bénins qu’à de véritables tacles assassins. Ainsi Costinha prend un deuxième carton jaune pour une main stupide. Boulahrouz (qui aurait dû voir rouge à la 7ème minute) reçoit un second avertissement pour un coup de coude pas forcément volontaire. Deco se fait sortir suite à un deuxième jaune pour avoir gardé le ballon trop longtemps dans les mains. Pour finir, Van Bronckhorst, certainement le plus gentil sur le terrain soit dit en passant, est contraint de quitter ses coéquipiers suite à un deuxième carton jaune dans les arrêts de jeu pour une faute assez discutable. Bref, aucune de ces 4 expulsions ne se justifie pour des motifs relatifs à une quelconque violence.


L’homme qui a entaillé la cuisse de Ronaldo enfin expulsé.

Le terme de bataille serait-il donc usurpé ? On est franchement tenté de dire que oui. Alors certes, durant cette rencontre demeuré fameuse, on a eu droit à quelques semblants de bagarre, à des joueurs qui avaient parfois de mauvaises intentions mais en aucun cas on a ressenti une impression de bataille et d’équipes qui se détestent. Certes, Figo a bien tenté de donner un coup de boule à Van Bommel. Certes, Deco a taclé volontairement le méchant Heitinga qui n’avait pas rendu le ballon. Certes, Sneijder a poussé Petit alors que celui-ci s’empressait de signifier à un adversaire sa pathétique comédie. Mais au final, ces gestes n’ont été sanctionné que par des cartons jaunes et ont fait partie d’une espèce de cinéma ambiant, une sorte de jeu du «viens me tacler et me pousser si tu peux» qui s’est instauré au fil de la rencontre. L’unique responsable de ce simulacre de bataille n’a été en fait que l’homme en noir Valentin Ivanov qui a totalement laissé échapper la rencontre et qui n’a jamais osé sortir un rouge direct. Si ce match est venu détrôner les fameuses batailles des précédentes Coupe du Monde, c’est uniquement car l’arbitre russe a jugé bon de sortir son carton jaune à tout bout de champ, au total 16 fois, constituant un nouveau record.
C’est pourquoi nous proposons en lieu et place du terme de bataille, celui de mascarade. Ce match détient le record du plus grand nombre de cartons dans une rencontre de Coupe du Monde et il reste fameux en ce sens. Rarement une atmosphère n’a été aussi pourrie sur un terrain et je me souviens avoir quand même bien ri à regarder ce spectacle dans mon canapé par un vieux dimanche soir d’été. Lorsque l’on voit à quelques secondes de la fin du match Boulahrouz, Deco et Van Bronckhorst, tous trois expulsés (certes les deux derniers étaient alors coéquipiers au Barça), discuter tranquillement et regarder ensemble la fin du match depuis les escaliers des tribunes, on se dit forcément que le terme de bataille n’est pas très approprié. Cela vient encore appuyer le fait qu’aucune expulsion mythique n’a réellement eu lieu dans cette partie.

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3 Commentaires

  1. Je me souviens également de cette partie, marquée par une absence de fair-play caractérisée. Il me semble que les hollandais avaient décider de garder la balle après que les portugais l’avaient sorti lorsqu’un joueur orange était à terre.

    Je me souviens aussi de Van Hoijdonk, dont j’écorche surement le nom, qui recule le ballon de quelques mètres sur un coup franc car le mur refusait de se mettre à distance.

    Bref, du beau n’importe quoi. Mais cette équipe de hollande là ne méritait pas vraiment d’aller plus loin.

  2. Merci pour ce récit : mes souvenirs remontent…Le pauvre M. Ivanov a fait ce qu’il a pu. Ce sont les joueurs qui ont pourri le match. A un moment je me disais qu’ils le faisaient exprès. Ce match aurait dû être arrêté dès la mi-temps.

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