Saga des cartons rouges : les salopards argentins

Le tournoi de 1990 n’a pas été réputé pour son beau jeu et ses scores fleuves, c’est le moins que l’on puisse dire. Ce fut probablement une des éditions les plus fermées de l’histoire. Cela peut être expliqué par le fait que pour la dernière fois, la passe en retrait au gardien était autorisée et que la victoire ne valait que deux malheureux petits points. Bref, la Préhistoire. Mais une des raisons principales pour lesquelles cette Coupe du Monde fut aussi passionnante à regarder que l’intégrale de Derrick, c’est probablement l’équipe des salopards argentins.

Lieu : Stade Olympique de Rome
Date : 8 juillet 1990
Match : Finale Argentine – RFA (0-1)
Fautif : Pedro Monzón
Victime : Jürgen Klinsmann

Le contexte :

Championne du monde en titre, l’Argentine parvient en 1990 pour la deuxième fois consécutive en finale après un parcours des plus chaotiques. Il est vrai que l’équipe mise en place par Carlos Bilardo est certainement l’une des plus vilaines que l’on n’ait jamais eu l’occasion de voir à l’œuvre dans une Coupe du Monde. Renonçant à produire le moindre jeu et spéculant volontiers sur un contre du rapide Claudio Caniggia ou sur un 0-0 synonyme de tirs aux buts à partir des huitièmes, l’équipe du capitaine Maradona a usé de tous les subterfuges pour arriver au résultat escompté. Un peu comme les Grecs à l’Euro 2004, mais en plus violent, avec plus de talent et surtout en tant qu’équipe favorite du tournoi. En poules, il y a pour commencer cette défaite honteuse en match d’ouverture face au Cameroun. Jusqu’alors jamais un champion en titre n’avait perdu en ouverture (ce match est d’ailleurs le théâtre d’une des expulsions les plus remarquables du football moderne, nous y reviendrons peut-être dans un prochain numéro). Puis, il y a ce match gagné 2-0 face aux Soviétiques où Maradona sauve impunément de la main devant son propre but, ce qui n’a curieusement pas déclenché un énorme scandale, probablement car c’étaient les méchants communistes qui en avaient été victimes. Bien fait pour eux. Au cours du même match, le gardien argentin Neiro Pumpido subit l’une des plus belles blessures de l’histoire de la Coupe du Monde suite à une collision avec son propre défenseur. Ce fait de jeu permet de révéler Sergio Goicoechea, véritable as des pénaltys et héros des séries de tirs au but face à la Yougoslavie et à l’Italie. Pour terminer, il y a un match nul face à la Roumanie qui permet à l’Albiceleste de passer au tour suivant par la petite porte, tellement petite que même Passe-Partout ne parviendrait probablement pas à s’y engouffrer.


Les 11 salopards en finale

En tant que repêchés parmi les meilleurs troisièmes, les Argentins sont opposés au grand Brésil dès les huitièmes de finale. C’est de cette confrontation que Maradona plaisantera quelques années plus tard en affirmant que les gourdes prêtées par les Argentins aux Brésiliens (à Branco notamment) étaient remplies de tranquillisants. Drogués ou pas, les Brésiliens se font néanmoins anesthésier par des Argentins jouant leur jeu favori, celui de la contre-attaque menée par Caniggia dans les dernières minutes. Cela suffit aux ancêtres de Leo Messi pour éliminer le grand Brésil (qui était assez petit cette année-là). En quarts, les Argentins spéculent sur un 0-0 face aux Yougoslaves et s’en sortent lors de la séance de tirs au but, notamment grâce à un énorme Sergio Goicoechea. Moche mais efficace. Avec cette victoire, Maradona et ses coéquipiers atteignent pour la deuxième édition consécutive les demies et se voient offrir comme adversaires les hôtes de ce Mondial, la Squadra Azzurra. C’est lors de cette demi-finale électrique et dramatique que les Argentins sont au sommet de leur art du hold-up. En réussissant à égaliser sur une vieille tête de l’éternel Claudio Caniggia, les coéquipiers de Diegol arrachent une prolongation. Bien que réduits à dix suite à l’expulsion de Giusti, les Argentins parviennent à leur objectif qui était clairement la séance de tirs au but. A ce petit jeu-là, Sergio Goicoechea est à nouveau le meilleur et repousse les tentatives de Roberto Donadoni et d’Aldo Serena. L’Argentine sans briller (gagnant en tout et pour tout deux matchs du tournoi, sans compter les victoires aux tirs au but) se retrouve alors en finale face aux Teutons vainqueurs eux aussi aux tirs au but de l’Angleterre.

Les faits :

Comme à leur habitude, les Argentins abordent la finale de la même manière qu’ils ont abordé l’ensemble du tournoi : en défendant avant tout. Après que leur hymne ait été copieusement sifflé par l’ensemble du Stade Olympique de Rome et que Maradona ait lâché un bon vieux « Hijo de puta » devant la caméra, les Sud-Américains mettent en place leur fameuse tactique du « No pasarán ! » traduisez par « Ils ne passeront pas ! ». Privés de leur atout numéro un, Claudio Caniggia, suspendu pour un deuxième carton jaune obtenu face à l’Italie, le onze de Carlos Bilardo se contente de repousser les assauts de Monsieur Lolita Morena et consorts par tous les moyens, utilisant si nécessaire la manière illicite.
Cette tactique est particulièrement bien intégrée par le latéral gauche entré à la mi-temps Pedro Monzón. Tellement bien que lorsque Jürgen Klinsmann déborde sur l’aile droite à la 65e minute, suite à un bon une-deux, le numéro 15 argentin se jette la jambe droite en avant à hauteur du tibia, afin d’empêcher le gendre idéal de Liselotte de repiquer vers le centre. Si le tacle de Monzón est admirablement appuyé et superbe dans sa détermination de faire mal, le plongeon de Klinsmann est tout autant une véritable œuvre d’art. Un plongeon qui dépasse même tous ceux que Pippo Inzaghi a pu entreprendre durant sa carrière, qui mériterait sans doute d’être inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Surtout qu’une fois au sol, l’Allemand en rajoute une couche en se propulsant dans les airs. Même Flipper le Dauphin n’aurait pas fait mieux. Si l’Argentin n’a probablement fait qu’effleurer l’attaquant de la Mannschaft, il n’en demeure pas moins qu’un tel tacle mérite une sanction appropriée. L’arbitre mexicain, Monsieur Codesal, prend alors la décision de sortir le premier carton rouge de l’histoire d’une finale de Coupe du Monde.


Monzon et Flipper le Dauphin

Réduits à dix, les coéquipiers de Maradona n’ont d’autre solution que de se replier toujours plus et c’est presque logiquement qu’ils vont concéder un vieux pénalty à la 84e minute. Pénalty d’ailleurs toujours contesté de nos jours, mais surtout contesté par l’ensemble de l’équipe d’Argentine d’antan qui tel un gang des barras argentins va entourer Monsieur Codesal en le bousculant et en le traitant de tous les noms (notamment Pedro Troglio déchaîné). Enfin, Brehme lui ne se pose pas de question et transforme pépère son pénalty, inscrivant le seul but de la partie. Il reste encore quelques minutes, histoire que Gustavo Dezotti se fasse à son tour expulser, et la RFA fête un troisième titre de champion au terme de la finale la plus moche de l’histoire. Un tournoi qui avait aux dires de certains la finale qu’il méritait.
Bon et puis je me lance. Je l’ai bien aimée cette finale tout comme ce tournoi dans l’ensemble et je dois bien être le seul. Peu de buts c’est certain, mais des matchs tendus aux issues parfois dramatiques ponctuées de cartons rouges spectaculaires. Alors certes j’étais très jeune et on a toujours tendance à idéaliser après coup, mais l’Argentine version 1990 m’avait franchement fait rêver. Un mélange d’admiration et de dégoût pour cette sacrée équipe de salopards !

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18 Commentaires

  1. Ahahah super article, j’avais 7 ans à ce moment-là et cette coupe du monde m’avait aussi fait rêver… Première collection Panini ou pas, il y avait quelque chose.. quand en plus tu passes tes vacances à Lignano Sabbiadoro pendant la phase à élimination directe, les étoiles tu les as dans les yeux: un touriste allemand et sa clique qui gagne la coupe du monde en vacances, ça fout un de ces merdiers…

  2. héhé, super article, plein de bons (ou moins bons) souvenirs 🙂
    En tant que Belge, je me dois de réagir.
    Sauf erreur de ma part, il y a avait déjà un précédent concernant la défaite d’un tenant du titre en match d’ouverture : Argentine (déjà) – Belgique en 1982 en Espagne : 0-1, but de Vandenbergh ! ;o))

  3. 1990: pour moi c’est Shilton qui se loupe et un poteau en prolongations de la demi-finale, sinon l’Angleterre du sublime Lineker était Champion du Monde.

    C’était aussi la demi-finale Argentine-Italie, la tête de Caniggia sauf erreur qui avait fait pleurer toute une nation, et qui m’avais permis d’aller agiter une linge rayé bleu-clair et blanc devant toutes les pizzerias de Lausanne, moi qui n’avait jamais été pour l’Argentine.

    Ce qui me fait penser à l’Argentine-Italie de 1982, et tous les cartons rouges que Gentile en particulier n’a jamais reçu, qui mériteraient un article à eux seuls, Maradona repartant à moitié détruit et le maillot complètement déchiré.

    Le bon vieux temps où les arbitres laissaient les joueurs jouer comme des hommes, sans influer sur le résultat du match.

  4. Merci pour les souvenirs, superbe article.
    Le Brésil de 1990 n’était pas brillant mais avait sauf erreur tiré quatre fois sur les montants contre l’Argentine; toutefois, rien que pour le slalom de Maradona sur le but de Caniggia, les Argentins méritaient leur succès.
    Et la demi-finale contre l’Italie n’était qu’un demi hold-up car le but de Schillaci était hors-jeu (comme la plupart de ses buts en fait).
    Sur la finale, le pénalty est effectivement cadeau, par contre l’arbitre aurait pu en siffler deux autres plus nets pour les Allemands auparavant.
    Mais dans l’ensemble, triste Coupe du Monde, j’étais pour la Hollande à l’époque, si brillante à l’Euro 1988 et complètement à la ramasse en 1990 avec trois nuls au 1er tour et cette élimination dans ce match honteux contre l’Allemagne.

  5. Que c’est bon!!! Merci!!!

    Flipper le dauphin, ça m’a tué! Etant donné que j’avais 4 ans à l’époque, je ne me rappelle évidemment pas de cette coupe du monde, donc si il existe une vidéo de cette séquence de jeu, se serait énorme et idem pour les prochains articles. Un petit lien avec la phase décrite et c’est la série d’article parfaite.

    Merci et à vendredi prochain. 😉

  6. +1 Mouquin. Le génial slalom de Diego qui attire toute la défense à lui avant de glisser le ballon à Caniggia fait partie des moments de football dont je me souviendrai toujours. J’ai souvenir d’un Brésil vraiment très peu créatif avec un grand moment de poésie offert par Mauro Galvao, le boucher luganais..

  7. Haha, Andy, avec des « si » on met Paris en bouteille (ou Lausanne ou Sion comme tu préfères ;-)).
    L’Angleterre aurait alors du être sortie en 1/8è contre la Belgique ! Domination copieuse des Diables Rouges pendant 120 minutes avec poteaux et occasions à la pelle.
    But hold-up de David Platt sur Coup-franc de Stuart Pierce (il n’y avait pas faute !).
    Tout ça si je me rappelle bien car c’était ma première CDM (9 ans).
    Si les Belges passent, c’est alors la Belgique qui est championne du monde :o)))) On peut rêver…

    PS pour Julien : Toto Scillaci, grand souvenir, il m’avait marqué celui-là 🙂

  8. @Jupiler
    Oui quand Platt a marqué j’ai crié tellement fort (c’était au BFSH 1 à l’UNIL) que des assistants sont descendus du 4ème étages voir ce qu’il se passait …

    Autre fait marquant de 1990: le TJ-Midi de J.-P. Rapp avec des séquences de 3 minutes sur le Mondiale sensés être humoristiques présentés par Massimo Lorenzi (qui comme aujourd’hui ne connaissait déjà rien sur le sport), du genre un type qui shoot le ballo, faire avancer et reculer l’image 10 fois de suite.

    Et PAD qui était tombé follement amoureux de l’équipe de Tchéquie, et s’énervait quand Débonnaire le contre-disait.

  9. Merci pour la video. J’avais oublié à quel point ce fut un chef d’oeuvre – description parfaite dans l’article.

    Pour la petite histoire, la belle équipe de Hollande de l’époque, championne d’Europe en 1988, possédait le roi du domaine, Marco Van Basten, qui s’écoulait dans les 16ème plus rapidement que son ombre.

  10. J’avais passé la semaine des qualifs en Sardaigne avec les Anglais.Il y a eu aussi quelques cartons rouges de distribués cette semaine-là. Rouge Sang.

    Tempi passati. Merci de ces souvenirs.

  11. Que d’excellents souvenirs! j’étais en Angleterre le jour de cette fameuse demi. Tristesse, cette équipe était la plus belle du tournoi et certainement la plus belle à ce jour (je ne suis pas assez vieux pour avoir vu celle de 66). Gascoigne fantastique!

    Et sinon le magnifique Cameroun, Roger Milla, la coiffure d’Higuita (sans parler celle de Valderama), les anglais, irlandais et hollandais mis sur une même île, façon Alcatraz pour s’entretuer.

    Très bel article (Flipper, génial! on dirait qu’il a sauté sur une mine!) vivement le prochain article!

  12. C’est incroyable, fan de football depuis toujours et je n’ai que 19 ans, pour moi mes premiers souvenirs (vagues en effet) datent de la coupe du monde 1998. En lisant vos commentaires, je me rend compte encore plus de la beauté de ce sport, et c’est marrant de lire tous ces souvenirs et de voir comment ils vous ont marqué !

    En tout cas je me réjouis déjà dans 10ans quand des articles seront écrit pour parler des coupes du monde qui m’ont marquées et que je pourrais raconter mes souvenirs hahaha

    Sinon article excellent, on en redemande !

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