Sion – Lausanne : voyage au bout de la nuit

Il est 21 heures 48 ce mercredi 26 septembre sur le quai 2-3 de la gare de Sion, sans doute l’endroit le plus sinistre du monde après le buffet de la gare d’Olten en novembre. Le soussigné, auto-proclamé «envoyé spécial de CartonRouge.ch», a appuyé ses fesses à une rambarde de métal et rumine cette question de cow-boy solitaire à la fin d’une mauvaise BD: «Mais qu’est-ce que je fous là ? Qu’est ce que je suis venu faire dans cette suintante plaine inter-alpine par une nuit sans lune ?».

Des questions de cette profondeur ne se résolvent pas en 5 minutes, se dit le soussigné, lorsqu’il voit apparaître en haut de l’escalier du dit quai 2-3 un certain Mat D.* (*nom connu de la rédaction), qui fut gardien de but intermittent à quart-temps au Lausanne-Sport. Cris, effusions, serrage de mains. En trois gestes, un regard triste et deux soupirs ces deux-là se reconnaissent : ils reviennent de Sion – Lausanne, derby définitivement  neurasthénique mettant aux prises les deux lambeaux morts-vivants du football romand. On verra plus tard qu’à cette heure, ils ne sont pas encore au bout de leur peine.Pour un Sion – Lausanne de football au stade de Tourbillon, rien de tel, s’est dit le soussigné, que de s’asseoir dans la tribune opposée à la tribune de luxe. Est, ouest, sud, nord ? On ne sait pas très bien. Ce qu’on sait c’est que c’est celle des Haut-Valaisans, farouche peuplade vivant au-dessus de 600 mètres, derniers pratiquants d’une langue aux accents chantants, mystère ethnographique et joie des musicologues et dont voici un trop bref échantillon : «fite, fite, fite, fite, fite» (forme d’encouragement destiné exclusivement aux joueurs valaisans) ; «oeilyoeilyoeilyoeil» (forme d’insulte à l’arbitre) et «aiehoeukopfertaoooo» (littéralement : «putain, ce que vous êtes à chier, les gars»). De la minute 0 à la minute 45, l’envoyé spécial a entendu 17 fois «fite, fite, fite», 6 fois «oeilyoeilyoeilyoeil» et 34 fois «aiehoeukopfertaoooo». Cela donne une idée de la performance générale du FC Sion, dont il n’y a rigoureusement rien d’autre à dire qu’ils étaient onze, en maillots blancs et attaquaient de gauche à droite pour le soussigné.
Et les Verts alors (oui, LS jouait en vert… on pourrait dire en vert et contre tout) ? Ben, ils jouaient… Un peu comme une équipe de 1ère ligue («sérieux, les gars, sérieux et marquage», vous voyez le genre ?). Le voisin de droite de l’envoyé spécial a parlé de ses vaches (des noires), le voisin de gauche de sa vigne (du blanc). On en a bu, c’était sympa, comme un soir d’été à la place du Midi à Naters. Le match, on en avait rien à foutre… A la 27ème, le voisin de derrière (qui parlait de son téléski) a crié «aiehoeukopfertaoooo» pour la vingtième fois : Lausanne venait de marquer un but de 1ère ligue.

A la mi-temps, l’envoyé spécial a considérablement enrichi son vocabulaire haut-valaisan et sa connaissance de l’agriculture de montagne avant de revenir s’asseoir. La seconde période ressembla un peu plus à du football. Il y eut des «whooiiii» (une passe réussie, une !), des «aieo, aieo» (une attaque de Lausanne). A défaut de jouer vraiment au football, Sion fit donner de la masse musculaire de ses mastodontes Sumo genre Pa Modou, Lacroix, Vanczak (pas loin de 300 kilos à eux trois). Les voisins (de droite, de gauche, d’en haut) ont apprécié. Ça leur rappelait le combat des reines. Lausanne plia, rompit, rata, ragea dans un dernier quart d’heure pathétique où il aurait pu marquer. Mais c’est Sion qui en mit deux, sur ses deux occasions. Normal et pôôô juste mais qui a dit que le foot devait être juste ?
Que dire au bout de cette nuit noire ? Que Lausanne n’a pas le format, pas les joueurs pour tenir en Ligue A ? On le sait déjà. Que son entraîneur coache comme une tanche borgne (que fait ce Dessarzin sur un terrain de football, sorte de poulet sans tête qui court dans tous les sens, généralement pour rien ? Serait-ce pour décrocher la prime de la Ligue pour les clubs à forte proportion de jeunes joueurs ?). Qu’on devrait le changer ? Mais qu’est-ce que ça changerait ? Qu’on ne comprend pas qu’à la 9ème journée de championnat, des joueurs soient cuits après 60 minutes ? Que Kehlifi n’a pas pris un kilo depuis deux ans et que quand il fait de l’épaule contre épaule avec Rüfli on dirait une mouche contre une vitre (une vitre Rüfli ? Ouais une vitre mais sale) ? Que Fickentscher n’est pas encore meilleur que Favre ? Que les renforts mon cul, que…. etc. Mais pourquoi se répéter ? Lausanne est parti pour une saison en enfer avant de mourir en Ligue B.
Sion, lui, ne mourra pas, en tous cas pas avant Tintin. Après ?… Peut-être. Car réunir autant de talents pour faire une équipe aussi inconsistante, c’est plus de l’alchimie, c’est du grand art, de la magie noire. Ils finiront 6ème et on recommencera l’année prochaine… en jurant que, cette fois, c’est la bonne.
Au bout de cette nuit noire, l’envoyé spécial s’est dit que le football romand n’existerait bientôt plus mais que le Haut-Valais, lui, serait éternel. Santé et amen.
P.S. : La partie la plus passionnante du récit vient maintenant. Avec Mat D* (nom connu de la rédaction), l’envoyé spécial a donc pris le train ultra-rapide vers Lausanne pour oublier au plus vite ce qu’il s’était infligé. Ils ne savaient pas qu’autour d’Evionnaz, une voiture allait prolonger cette nuit noire jusqu’à en faire une nuit blanche. L’envoyé spécial apprit ainsi des secrets sur la gestion des clubs, la mesquinerie des présidents, la consommation de bière chez les sportifs d’élite, leur goût pour les femmes mûres et l’humour raffiné de Vincent Rüfli (hors du terrain, a précisé l’informateur). Gagné par la fatigue et se souvenant que cafter c’est tromper, l’envoyé spécial n’en dira pas davantage. Mais cela démontre une fois pour toutes qu’au football, souvent, trop souvent, des deux mi-temps, c’est la troisième qui est la bonne.
Photo Pascal Muller, copyright EQ Images

Sion – Lausanne 2-1 (0-1)

Tourbillon, 5’800 spectateurs.
Arbitre : Bieri.
Buts : 27e Khelifi 0-1, 69e Vidosic (penalty) 1-1, 76e Vanczak 2-1.
Sion : Vanins; Rüfli, Lacroix, Vanczak, Pa Modou; Ndoye (68e Christofi), Yartey (32e Fedele); Léo, Vidosic, Perrier; Cissé (46e Assifuah).
Lausanne : Fickentscher; Chakhsi, Katz, De Pierro, Facchinetti (46e Feltscher); Sonnerat; Dessarzin, Zambrella (80e Ravet), Mevlja (70e Ekeng), Khelifi; Coly.
Cartons jaunes : 35e Perrier, 48e Dessarzin, 56e Vidosic, 68e Mevlja.
Notes : Sion sans Mveng, Ferati, Herea (blessés) ni Kouassi (suspendu), le LS sans Tafer, Meoli, Gabri (blessés) ni Banana (suspendu). 

Écrit par Michel Zendali

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9 Commentaires

  1. Triste football romand, en effet, entre un Sion malade et un LS aux soins intensifs. Le moins mauvais l’a emporté.

    Article très sympa de « l’envoyé spécial », nouvelle recrue de renom de CR?

  2. …le LS joue ses matchs à 10… il y en a toujours un qui ne touche pas la balle… après Faidounôô, maintenant Dézarement… je ne comprends pas toujours les choix de LR !!!

  3. Excellentissime article ! C’est tellement bien écrit que ça fait froid dans le dos ! En effet, il est ou le football d’élite romand ? 2 équipes en Ligue A (et les deux à la rue, en plus), 1 et demie en Ligue B (pardon, Tchalenge leeeaaague), soit un quota de 3,5 équipes sur 20, alors que proportionellement à la population suisse, il devrait y en avoir au moins 6 ! Et en équipe nationale, c’est pas mieux, y a bientôt plus un seul romand ! Pin Pon ! Appelez les pompiers !

  4. Bon, ben, on comprend mieux pourquoi le foot romand se trouve à présent dans les catacombes si des footballeurs censés êtres ou en tous les cas se comporter comme des footballeurs pros, ne trouvent rien de mieux à faire que de faire des nuits blanches remplies de bières…

    A part ça, très bon article. Je ne sais par contre pas si je dois le trouver hyper-marrant ou hyper-triste…

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