Ticos, mais t’avances pas

Aux basques des Étasuniens pendant toutes les qualifs, les joueurs de la Suisse centro-américaine se sont essuyés les pieds sur le Mexique et ont assuré leur billet pour la Coupe avant tout le monde sur le continent. Ils arrivent au Brésil au sommet de leur art – mélange de rigueur nordiste et de folie latine – galvanisés par le challenge qui les fait affronter trois ex-champions du monde au premier tour (Uruguay, Italie et Angleterre). Sans fanfaronner, les artistes du pays de l’ananas y voient un augure favorable et se déduisent futurs champions en puissance. Par contagion. Logique.

1) Pourquoi ai-je choisi de présenter ce pays ? Parce que j’y vis. Dans la vie, il y a des bonnes raisons et des mauvaises raisons. Celle-ci, c’est une bonne raison, t’es obligé d’admettre.
Depuis deux ans, je suis accro au football de mon pays d’accueil. Inconditionnel du Deportivo Saprissa, le club de la capitale qui fournit quatre sélectionnés et dont sont issus la plupart des mercenaires Ticos. Mercenaires qui, exceptions faites de Joel Campbell qui fait le beau en attaque de l’Olympiakos et de Keylor Navas, devenu en une saison le meilleur gardien de la Liga espagnole, sont allés se geler les fèves dans les fjords scandinaves avec des fortunes diverses. Grâce aux joueurs costaricains, les journaux d’ici me tiennent au courant des parcours des respectables clubs de Aalesunds FK, AIK Solna, IFK Norköpping et Valerenga IF. Merci bien !
Puisque tout s’arrête ici les jours où la sélection dispute une rencontre (et que le port du maillot rouge est autorisé pour tout le monde, même sur un costume trois pièces), on attend un mois de juin décousu niveau travail, délais, sommeil, disponibilité des prestataires de services, sobriété et maîtrise de soi.
Finalement, parce qu’un pays qui ose le voyage au Brésil avec Alvaro Saborio – ancien attaquant du FC Sion aujourd’hui en pré-retraite à Salt Lake City – en artilleur solitaire, c’est assez piquant pour ne pas vouloir manquer ça.
2) A quoi sert ce pays ?
Pourvoyeur d’ananas, de bananes et de café, le Costa Rica est essentiel au fonctionnement du monde.
Il est un relais et une base logistique importante pour la circulation de la cocaïne à destination des pays industrialisés et fournit aux escrocs internationaux de toutes engeances une terre d’exil luxuriante, confortable, climatisée, judiciairement et fiscalement peu regardante.
On y vit à moitié nu, gavé de mangues et d’eau de source, en jouant avec des toucans, des grenouilles et des caïmans hyper gentils, tout choux. Niveau foot, le Costa Rica sert à faire le nombre pour qu’existe la zone FIFA au nom le plus marrant : Concacaf. Le fait de gloire local est l’accès aux huitièmes de finale durant le Mondial 1990 (sous les ordres de Bora Milutinovic), performance qui sera difficile à rééditer et c’est un euphémisme pour une équipe dont les délégués au tirage au sort ont cru à une farce en voyant les noms de leurs adversaires sortir des boules.
En juin, le Costa Rica servira donc d’écueil à l’Italie, à l’Uruguay et à l’Angleterre dans le groupe D. Le nain contre lequel il faut absolument trois points. Si l’on en croit la seille avec laquelle sont rentrés les Ticos de leur premier match de préparation au Chili (défaite 4 à 0), ce pourrait être un tout petit écueil, pas même de la taille à troubler une aubade de Francesco Schettino. Endiguer Alvaro Saborio sera le premier vrai test des défenses italiennes et britanniques au Brésil. Mouahahahah !
Accessoirement, le Costa Rica pourrait servir d’exemple à la Suisse en matière militaire. Partageant avec notre Helvétie la particularité d’être un pays beaucoup moins pauvre que ses voisins, terre d’asile des hyper-riches et neutre en tout, le Costa Rica a renoncé à son armée il y a 65 ans. La raison principale, c’était que ça sert au mieux à rien et que ça empêche de confier l’argent des contribuables à des missions qui ont une utilité. 65 ans d’avance donc, et le compteur continue à tourner.

3) Comment se sont-ils qualifiés et surtout pourquoi ?
Le Costa Rica s’est qualifié pour la Coupe du Monde à la régulière. A la sueur. A l’huile de coude. Sans la défaite discutable concédée à Denver chez le patron étasunien sur 10 centimètres de neige, les Ticos seraient même sortis vainqueurs du groupe Concacaf.
En deuxième position, ils ont tout de même réussi à se qualifier à deux matchs de la fin des qualifications, devant le Honduras et en contraignant le Mexique aux matchs de barrage océaniens que l’on sait (face à la toute petite Nouvelle-Zélande au lieu de l’Australie rattachée sans raison à l’Asie par la FIFA).
4) Pourquoi vont-ils gagner la Coupe du Monde ?
Parce que pour la première fois en quatre participations, la sélection costaricaine occupe deux pages de l’album Panini. En quittant la zone des double-vignettes à laquelle elle était habituée, en compagnie des Emirats Arabes Unis et de l’Iran, le Costa Rica voit sa cote doubler et faire rêver tout un peuple d’une Coupe du Monde remportée sur son propre continent.
Parce que le Costa Rica est probablement le plus bigot des pays latino-américains, que la laïcité n’y est même pas un concept et qu’on jésus-marise à qui mieux mieux.
Si quelqu’un se charge de compter, parions que les Ticos remporteront le mondial du nombre de jérémiades de bénitier par match (signes de croix pour n’importe quelle péripétie, saluts au très-haut après une passe réussie, incantations, génuflexions et, surtout, des collections d’interviews béatifiantes remerciant la Sainte Trinité pour les nouvelles chaussures et le soleil qu’il fait depuis hier matin). Avec l’aide du Christ reconnaissant pour tant d’hommages, le Costa Rica sera champion pour sa quatrième participation.
Parce qu’en sortant vainqueurs du groupe D après avoir contraint l’Uruguay au nul, avoir battu l’Italie 2 à 1 et l’Angleterre 1 à 0, le Costa Rica affrontera en quart le Japon ou la Côte d’Ivoire, ce qui les reposera. Ils arriveront en confiance à Belo Horizonte pour leur demi-finale contre le vainqueur de Hollande – Croatie (après n’avoir pas omis de prolonger leur séjour à l’hôtel de Santos dans lequel ils n’avaient, par un coupable manque de foi, réservé qu’une semaine). Et parce que Pierre Tripod vous dira qu’en football tout est possible, une fois en finale, les Ticos ne craindront personne.
Parce qu’Alvaro Saborio. What else ?
5) Pourquoi vont-ils se faire éliminer au premier tour ?
A peu de choses près pour les mêmes raisons que ci-dessus, mais par vent de face.
6) Qui sont les joueurs à surveiller ?
Keylor Navas, gardien au nom étrange et bouille de méchant des Sopranos vient de livrer une saison exceptionnelle entre les bois de Levante (sous les ordres d’un ex-coach de Xamax sous la surréaliste ère Chagaev : Joaquin Caparros). Au point d’avoir le choix cet été pour son prochain transfert, vraisemblablement vers Monaco. Habitué à être le héros d’une équipe en-dessous de son niveau, Navas sera servi avec sa sélection nationale.
Joel Campbell, recrue prometteuse d’Arsenal qui s’épanouit dans l’attaque d’Olympiakos en attendant que sa cote monte. Véloce, malin, Joel Campbell est candidat au titre de révélation du tournoi et a déjà réalisé quelques buts étonnants qui raviront la planète foot, particulièrement si c’est Buffon qui va chercher la balle au fond.

7) Qui sont les joueurs à ne pas surveiller, mais dont on peut éventuellement se moquer ?
Alvaro Saborio. Ok c’est facile, mais bon. Alvaro Saborio quand même, quoi.
Après trois mois de vie au Costa Rica, je tombe sur un moustachu râblé qui porte un training du FC Sion au marché aux légumes. Je reste coi. Il s’en rend compte et me rend mon oeillade. Je l’aborde comme on aborderait Britney Spears à la Fête aux Oignons : avec surprise.
Premier réflexe : c’est sûrement un pauvre, y en a plein.
Il a hérité d’un survêt’ de Sion, jeté par un Saviésan dégoûté dans une benne à habits pour eux. Je comprendrais.
– T’as d’où ce machin, j’y dis dans un espagnol raffiné.
– Sion, c’est en Suisse, qu’y m’dit.
Du coup, je confirme en hochant et le relance d’un «t’as d’où, j’ai dit !».
– C’est mon frère. Il jouait à Sion, il fait. Alvaro Saborio.
Je tombe des nues parce que bon, Saborio, j’avais sûrement déjà entendu Joël Robert prononcer ce nom, mais te dire qu’il était costaricain, alors là ! Pour moi l’équipe de Sion c’est distant tu vois.
Je suis neuchâtelois, niveau foot c’est pas une naissance facile, alors je t’explique si on a le temps de s’occuper des effectifs d’outre-Préalpes. Déjà la Tchétchénie, j’ai dû chercher sur une carte (et ensuite acheter une nouvelle carte, rapport au fait que la précédente ne mentionnait pas le pays d’origine de mon nouveau président) alors le Costa Rica.
J’ai situé quelque part entre Puerto Rico et la Côte d’Ivoire, phonétiquement proches et donc potentiellement voisins (comme la Slovénie et la Slovaquie, la logique te tire de tous les scabres).
Mais Saborio, faut s’en moquer avec précautions quand même. Il a l’air lent, il a l’air aux fraises. Mais avec 36 goals en trois saisons à Sion, quelques uns à Bristol City et puis 57 à Real Salt Lake dont il fait les beaux jours depuis cinq saisons en Major League Soccer, Saborio est un attaquant dont tout le monde pense du mal mais qui rend des cartes honorables chaque année depuis quatorze ans. Tout le monde ne peut pas en dire autant.
8) Une bonne raison de les supporter ?
C’est le quatrième pays le moins peuplé de la compétition. Avec leur délégation de mercenaires sudistes jouant dans les glacières de milieu de classement scandinave (tendance Rasta Rocket), les Costaricains sont une équipe sympathique, humble et raisonnable. Des bons gamins. Des beaux-fils idéaux.
Ce serait déjà de bonnes raisons. Maintenant, pour les amoureux des causes perdues, supporter le Costa Rica qui prend Uruguay, Italie et Angleterre au tirage au sort, c’est de la bonne cause. Limite tu peux défalquer les bières que tu bois devant Costa-Rica – Italie si tu le fais en portant le maillot Tico, tu vois ? C’est un don. Dieu te le rendra.
Après il y a encore le fait que je me chargerai des comptes-rendus des matchs des Ticos durant le tournoi (rappel : ces matches seront selon toute vraisemblance au nombre de trois) et que ce sera plus simple de me lire en supportant le Costa Rica.

9) Une bonne raison de ne pas les supporter ?
Le Costa Rica, c’est un peu la bière sans alcool d’Amérique latine. Une nation moyenne, gentillette, doucereuse qui manque de relief et de coups d’éclats. Lire les interviews des footballeurs costaricains, c’est comme écouter un discours du 1er Août, ça fait bâiller. Ils sont sages, c’en est désespérant. On rêve de Balotelli, Ibrahimovic ou Frédéric Chassot ici, pour dépoussiérer les propos de fin de match.
10) Bon d’accord, mais sinon ?
«Ma passion c’est le football, ma force c’est mon peuple, ma fierté c’est le Costa Rica» sera le slogan inscrit sur l’autocar Hyundai de la sélection costaricaine, fourni par la gracieuse FIFA.
Ça sert à quoi un autocar Hyundai pour voyager au Brésil, quelqu’un a une idée ? Sans blague, je me demande. Et quand je me demande, par politesse je me réponds : De Santos où l’équipe du Costa Rica sera hébergée à Fortaleza où se jouera leur premier match contre l’Uruguay le 14 juin, il y a 2’954 kilomètres. Google Maps propose trois itinéraires mais il semble que celui qui passe par l’intérieur est le plus sûr. Ainsi en 43 petites heures de car Hyundai, on arrive frais et dispos à Fortaleza. A ce prix, t’as intérêt que ta passion ce soit le football, ta force ce soit ton peuple et ta fierté ce soit le Costa Rica.

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9 Commentaires

  1. Haha, pas mal !

    Ceci dit, petite rectification : en 2006, le Costa Rica avait déjà eu droit à une double page dans l’album panons. Et il y avait déjà Saborio tout seul sur sa propre vignette

  2. superbe et drôle, on adore…
    et nous voilà supporters des ticos, des diables rouges et de la nati ! l’été sera chôôô…

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