Trilogie pascale : la Cruci-fiction

Mon deuxième match du week-end était le plus improbable, de par le stade visité, le contenu de l’affiche et le scénario de la partie. L’immense PEC Zwolle s’est offert le premier trophée de ses 104 ans d’existence, la KNVB Beker, en crucifiant l’Ajax Amsterdam au terme d’une rencontre au déroulement de fiction, entre retournement complet de situation, incendie du terrain, défense en carton et joyeux PEC-Man.

Je suis un peu trop entiché du Borussia Dortmund pour être un véritable Groundhopper mais, lorsque l’occasion se présente, j’aime bien découvrir de nouveaux stades. Sauf qu’en Allemagne j’ai un peu fait le tour de la question et que, de toute façon, il n’y avait rien de bien fou à faire dans la patrie d’Angela Merkel en ce dimanche de Pâques. Alors je n’ai pas hésité trop longtemps quand je me suis aperçu qu’en trois grosses heures de train et bus, via quelques escales du côté de Duisburg, Utrecht ou Gouda, je pouvais faire le trajet entre Dortmund et Rotterdam, théâtre de la KNVB Bekerfinale, la finale de la Coupe des Pays-Bas.

Le célèbre PEC Zwolle

L’affiche oppose l’Ajax Amsterdam au PEC Zwolle. On ne présente plus l’Ajax, l’un des clubs les plus légendaires du continent, même si les contingences économiques actuelles du football européen ne lui permettent plus de jouer les premiers rôles au plan international. En revanche, je ne connais rien du PEC Zwolle. Et pour cause : un détour sur Wikipédia m’enseigne qu’en 104 ans d’existence, ce club n’a jamais rien gagné, n’a jamais joué en Coupe d’Europe, présente comme principaux titres de gloire deux finales de Coupe perdues en 1928 contre Heemstede (0-2) et en 1977 contre Twente (0-3) et son existence s’est longtemps cantonnée dans les séries inférieures avec comme meilleur classement dans l’élite une huitième place en 1979. En poussant plus loin mes investigations, je constate que Johnny Rep y a joué une saison en 1983-1984 et que Jaap Stam y a débuté sa carrière de joueur en 1992 puis d’entraîneur-assistant entre 2010 et 2013 avant d’intégrer le staff de l’Ajax. Par contre, dans l’effectif actuel, on ne distingue aucun nom connu. Bref, le vrai club anonyme qui va connaître son heure de gloire en ce dimanche pascal ensoleillé.  

I’m a PEC-Man

Si je considère la neutralité comme une vertu cardinale en politique étrangère, j’estime qu’elle constitue un crime capital dans un stade de football, surtout lors d’une finale, et devrait être passible d’interdiction de stade. Il me fallait donc choisir un camp. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour l’Ajax mais, d’un autre côté, la magie de la Coupe induit forcément une certaine sympathie pour le petit au palmarès désespérément vierge. Et puis le premier stand sur lequel je tombe en arrivant au Kuip vend des articles du PEC Zwolle ; de toute façon, l’amateur de jeux de mots foireux que je suis ne pouvait décemment pas passer à côté du t-shirt PEC-Man, rappelant un antique jeu vidéo, arboré par les joyeux fans des Blauwvingers. Et c’est encore plus drôle pour un Francophone un dimanche de Pâques… Me voilà donc supporter amoureux transi du PEC Zwolle dont j’ignorais tout quelques jours auparavant, ma vie est définitivement une aventure permanente. Et cette aventure-là me plaît bien car cette cuvette du Feyenoord Rotterdam, que je découvre, est vraiment épatante, une vraie enceinte de football, avec un toit incliné qui rabat les chants vers le terrain. Comme le stade est presque entièrement vêtu aux couleurs des deux clubs, à main gauche le bleu et blanc du PEC, à main droite le rouge et blanc de l’Ajax, avec deux kops très bruyants, c’est un vrai décor de finale, j’adore ça. 

L’Ajax met le feu

L’Ajax va mettre le feu au début de rencontre. Au propre comme au figuré. Après dix-sept secondes, le match est arrêté une première fois suite à des jets d’engins pyrotechniques par les supporters amstellodamois. Le match reprend tant bien que mal et le feu jaillit cette fois des pieds du défenseur ajacide Ricardo van Rhijn qui, après un corner renvoyé, arme une frappe somptueuse qui ouvre le score après avoir tutoyé la barre et la lucarne. En voyant le grand favori amstellodamois, fringant leader de l’Eredivisie et futur champion de Hollande, ouvrir si vite le score contre le modeste néophyte venu de l’Overijssel, on redoute une finale à sens unique. Et c’est bien ce qui va se produire mais absolument pas dans le sens attendu. La faute en incombe peut-être aux supporters de l’Ajax qui, pour célébrer cette ouverture du score précoce, provoquent un nouveau déluge de feu, en direction de leur propre gardien. Cette fois, la pelouse commence carrément à brûler et l’arbitre est contraint de renvoyer les deux formations au vestiaire pour une vingtaine de minutes, le temps pour les pompiers d’éteindre l’incendie et pour Edvin van der Saar, l’une des nombreuses anciennes gloires du club (Bergkamp, Overmars, Stam, de Boer…) dans le staff des Lanciers, de tenter de calmer les esprits avec toute l’autorité de son double mètre. Au final, l’incident débouchera sur 400 interdictions de stades pour les fans de l’Ajax qui auront de surcroît empêché leur équipe de profiter de l’euphorie et permis à l’adversaire de se remettre de ce but précoce. Car après l’interruption, c’est un tout autre match qui va débuter. Il y a quelques pyromanes en herbe pas très futés qui auraient mieux fait d’éviter de se réveiller en ce dimanche de Pâques. 

La noce à Thomas

A peine le match avait repris que Zwolle égalisait sur un solo de Ryan Thomas qui s’échappe sur la droite avant de surprendre curieusement le gardien Vermeer au premier poteau. Le jeune attaquant néo-zélandais de 20 ans récidivera cinq minutes plus tard en reprenant un coup franc de Maikel van der Werff renvoyé par le poteau. On jouait depuis douze minutes, on avait déjà vu trois buts et un retournement complet de situation ! Et on n’était pas au bout de nos émotions. La défense de l’Ajax est à la rue et une tentative de jouer le hors-jeu calamiteuse permet à Guyon Fernandez de partir seul au goal tripler la mise après une ouverture du Sud-Africain Kamohelo Mokotjo. L’attaquant hollandais du PEC s’offrira lui aussi le doublé en reprenant de la tête un centre de Bram van Polen au milieu d’une défense à nouveau complètement passive. En grand défenseur qu’il fut jadis, l’entraîneur ajacide Frank de Boer a dû être consterné par la prestation catastrophique de son arrière-garde qui a encaissé quatre buts en moins d’une demi-heure. Et même un cinquième dès la reprise sur un corner repris par Bram van Polen, histoire d’assurer définitivement le premier trophée de l’histoire du PEC Zwolle. Dont les supporters, incrédules, sont bien évidemment complètement euphoriques : pour une première, difficile d’imaginer succès plus glorieux qu’un 5-1 retentissant contre l’un des plus beau palmarès de Hollande et même d’Europe.

Mémorable !

L’Ajax a beau avoir eu une possession de balle largement majoritaire, il s’est complètement effondré et n’a plus rien réussi de bien dès le moment où il a concédé l’égalisation. Il devrait se consoler la semaine prochaine en validant le titre de champion de Hollande mais a priori cette équipe-là n’est pas franchement outillée pour renouer avec le prestigieux passé européen du club. Zwolle avait fait preuve de réalisme en concrétisant ses cinq premières occasions mais ensuite il aurait même pu donner davantage d’éclat à son triomphe s’il n’avait pas vendangé plusieurs grosses opportunités en fin de match contre un Ajax définitivement hors-jeu, à l’image d’un transparent Bojan Krkic ou d’un Christian Poulsen qu’on a eu connu plus teigneux (n’est-ce pas, Francesco Totti ?). Qu’à cela ne tienne, PEC Zwolle avait ouvert son palmarès et découvrira l’Europe la saison prochaine, les supporters en bleu pouvaient célébrer. En ce week-end d’Amstel Gold Race, je me suis senti obligé d’honorer l’Amstel du Kuip, acquittée au moyen de curieux petits jetons en carton aux allures de jeu de société. Ou de Giron c’est selon. Du coup, dans l’euphorie du moment, après le match, en longeant la rangée de cars en partance pour Zwolle, j’étais assez chaud pour négocier une place et m’embarquer dans un bus pour poursuivre la fête. J’ignorais totalement où se trouvait Zwolle, combien d’heures de trajet cela impliquait et comment j’aurai pu reprendre le cours initial de mon périple après une nuit de fête mais habituellement ce genre de menus détails logistiques ne suffisent pas à m’arrêter. Toutefois, ce qui m’a fait renoncer à ce projet débile, c’est la langue : mes oreilles sifflaient encore de la nuit de la veille en boîte avec mes potes suisses-allemands, je n’étais mentalement pas prêt à subir un voyage plus ou moins long dans un bus parlant exclusivement flamand… Mais même sans escale dans la charmante cité de Zwolle, cette KNVB Bekerfinale a été suffisamment improbable et festive pour rester longtemps dans ma mémoire. Le PEC Zwolle est magique !

     

PEC Zwolle – Ajax Amsterdam 5-1 (4-1)

Rotterdam, De Kuip, 42’500 spectateurs.
Arbitre : M. Nijhuis.
Buts : 3e van Rhijn (0-1), 7e Thomas (1-1), 12e Thomas (2-1), 22e Fernandez (3-1), 34e Fernandez (4-1), 50e van Polen (5-1).
Zwolle : Boer ; van Polen, van der Werff, Broerse (70e Lachman), van Hintum; Mokotjo, Klich, Saymak (63e Narsingh); Drost, Fernandez, Thomas (82e Gravenbeek).
Ajax : Vermeer; van Rhijn, Moisander (54e Poulsen), Denswil, Boilesen; Klaassen, Blind, Serero; Schöne (80e Kishna), Krkic (54e De Sa), Sigthorsson.
Cartons jaunes : 25e Blind, 25e van Polen.

Écrit par Julien Mouquin

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4 Commentaires

  1. Sympa, me demande où sera placé le 3ème acte de la trilogie ?
    Serais-tu passé un peu plus au sud pour le choc en Belgique entre Bruges et le Standard ?
    En tout cas, avec le Kuip de Rotterdam, tu as fait d’emblée le meilleur stade des Pays-Bas !

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