Ultimate frisbee : une industrie du disque en plein envol

Alors que les producteurs de galettes musicales crient famine, les promoteurs du disque volant sont eux pleins d’espoirs.
Le frisbee doit passer du parc aux stades. Il n’est pas bon qu’à flotter maladroitement entre deux barbecues, mais peut également bondir d’un bout à l’autre d’un terrain entouré de fans enthousiastes. C’est en tous cas ce qu’espèrent les initiants de l’American Ultimate Disc League (AUDL), fondée en 2010.

Ils ne sont d’ailleurs pas restés longtemps les seuls optimistes, car une dissidence a créé deux ans plus tard la Major League Ultimate (MLU). On sait pourtant que l’industrie du disque déteste la copie… Quoi qu’il en soit, lancer des ligues «pro» pour une galette souvent rangée au rayon passe-temps témoigne d’une certaine audace. Les San Francisco FlameThrowers accueillaient récemment les San Jose Spiders, champions en titre de l’AUDL et à nouveau parmi les épouvantails de la ligue cette saison. L’occasion était ainsi belle, au-delà du match en lui-même (honorable défaite des  «Lance-flammes» 20 à 18), d’aller apprécier l’intérêt du phénomène et son ampleur.
Les règles sont minimales et la précision maximale. Comme au concert d’un jeune groupe prometteur, environ 300 spectateurs ont fait le déplacement ; et comme avec un bon album de rock, pendant 48 minutes, la partition est récitée avec engagement mais finesse. Le disque gicle et tourne (33 tours ? 45 tours ?) sur parfois plus de 50 mètres. Entre interruptions et pauses, l’ensemble passe toutefois à une durée d’opéra, soit près de deux heures et demie, mises à profit notamment pour rencontrer Peter Lincroft, l’un des propriétaires des FlameThrowers. A distance, Jean-Lévy Champagne, président-directeur exécutif (et joueur !) du Royal de Montréal, a également par la suite accepté d’expliquer certaines subtilités complémentaires de la ligue aux lecteurs de CR.

Copyright Royal de Montreal/Danny Boy

Ainsi, les vingt-cinq clubs de l’AUDL sont des franchises, organisées de manière moins centralisée que dans la concurrente MLU, qui ne compte que 8 équipes. Le niveau de jeu est comparable, avec probablement un petit plus pour l’AUDL. Pour un nouveau club, le choix de la ligue est ainsi essentiellement une question de qualité de jeu que de confiance en l’un ou l’autre modèle économique, à savoir en particulier la marge de manœuvre plus ou moins réduite laissée aux clubs.
 Les budgets sont encore modestes et les recettes aussi. Ainsi, si presque personne ne vit que du frisbee, tous les joueurs doivent réglementairement recevoir une rémunération minimale, variable selon la ligue, mais qui constitue plutôt un défraiement au match. Les chiffres ne sont guère volontiers articulés, mais il s’agit de quelques dizaines, voire centaines de dollars par partie ; cela évite au moins aux meilleurs de devoir payer pour jouer… Si les clubs visent pour l’heure généralement surtout à limiter les pertes, le but est bien, à terme, d’être rentable et de se rapprocher d’un vrai professionnalisme.
 Dans les toutes prochaines années, les FlameThrowers entendent par exemple doubler leur moyenne actuelle de 500 spectateurs. Le Royal, qui dit tourner avec un budget entre 75’000 et 150’000 CHF, compte quant à lui déjà un millier de présents de moyenne, détenant même le record de la ligue avec 2’400 spectateurs au match d’ouverture de la saison. Même si la route est encore longue pour parvenir aux 5’000 spectateurs espérés à terme, la tentative de sortir de l’ombre du hockey recueille donc un joli succès d’estime, que la direction montréalaise estime découler de la structuration des instances locales de la discipline. A l’inverse de l’ultimate américain, développé depuis le haut et davantage formalisé, notamment dans le cadre scolaire, le frisbee canadien s’est en effet construit sur impulsion de la base. Ainsi, le Royal semble être en quelque sorte une émulation de la communauté ultimate, qui s’y reconnaît, plutôt qu’un nouvel élément dont la greffe populaire doit encore prendre. Les Montréalais identifient notamment un potentiel de développement auprès des jeunes, si bien que les enfants sont sensibilisés à la discipline en bord de terrain pendant les matches.

Copyright Darren Yamashita

Les FlameThrowers jugent pour leur part être davantage concurrencés par les nombreux événements tenus au sein de la très forte communauté ultimate du Nord californien, dont les membres peineraient encore à effectuer la transition occasionnelle de joueur à spectateur. Le principal vecteur de croissance semble donc être,  pour eux, de convaincre les actifs de passer de l’autre côté de la barrière, de leur donner le goût de venir soutenir un club plutôt que de participer exclusivement à l’un des multiples tournois open.
 Pour l’instant, il semble que tout ce qui contribue à développer la notoriété de l’ultimate soit vu positivement et que la concurrence entre les ligues n’est guère agressive. Il faut par ailleurs garder à l’esprit que l’AUDL et la MLU, dont la saison ne dure que quatre mois environ, ne sont pas les seules ligues d’importance. Des championnats amateur, notamment le Triple Crown, récupèrent souvent les joueurs de ces deux ligues durant la période creuse, de sorte que leur niveau peut également être très relevé.
 Payer pour aller voir du frisbee doit encore certainement rentrer dans les mœurs, mais le seul fait d’évoquer sa professionnalisation témoigne déjà de l’importance du phénomène. Il reste certainement à voir comment ce développement sera vécu par la communauté d’un sport qui se veut souvent plus fun que compétitif, à l’image du snowboard à ses débuts. De même, il s’agira de voir comment les ligues parviendront à intéresser les médias et le grand public afin que financièrement, les clubs puissent tourner, comme le disque…
Bonus : pour ceux qui douteraient que le frisbee ne peut pas être techniquement impressionnant, un petit visionnage s’impose de quelques tricks sur Youtube.
Cet article constitue le cinquième volet d’une mini-série sur les sports US qui s’étendra sporadiquement jusqu’à l’été 2015, CartonRouge étant représenté jusque-là outre-Gouille. 
Tome 1 : Gillette s’en sort excel(lemment bien) (Football)
Tome 2 : Les petits soldats de l’autre ballon ovale (Football américain)
Tome 3 : Les Celtics cherchent toujours le trèfle à quatre feuilles (Basket)
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