Best of the peste

Chris Rivera est adulé aux Vernets et conspué partout ailleurs : niveau carte de visite, difficile de faire plus simple. Le pire ? Il aime ça. Gouailleur, teigneux et infatigable, l’agitateur en chef de Servette, pur produit de l’école genevoise, manie l’art de la provocation comme personne. De Jonction à la finale du championnat de LNA, en passant par les blessures aux épaules et « l’amour inconditionnel » des supporters fribourgeois, retour sur le parcours d’un mec humble et entier qui incarne, depuis dix ans maintenant, le genre de joueur qu’on déteste adorer. Ou l’inverse.

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Chris Rivera n’a jamais vraiment eu de plan de carrière. Depuis les débuts modestes au HC Genève-Jonction (équipe de réserve de Servette dans l’organigramme genevois des années 1990) jusqu’à l’obtention de son statut de role player en LNA, il a fait son bonhomme de chemin sans jamais péter plus haut que son cul. Une qualité rare qui honore aujourd’hui un joueur facturant tout de même près de 450 matchs au plus haut niveau alors que, de son propre aveu, il n’était certainement pas le jeune le plus talentueux de son équipe à l’époque. Pas mal.
Surtout qu’au départ, le contingent auquel il appartenait n’était pas vraiment pléthorique et le goût de la victoire se faisait plutôt rare. « De ma génération de 1986/87/88, il n’y avait pas beaucoup de joueurs, se souvient-il. Par exemple, après la promotion en Novices Elites, on était quatorze pour commencer la saison. On a été relégués à la fin du championnat, mais on n’a jamais baissé les bras : tout le monde venait s’entraîner, les gars donnaient tout et ne lâchaient rien. Quand tu ramasses des caisses, que tu te relèves à chaque fois et que tu continues malgré tout, ça forge le caractère. »
Des moments difficiles avec en toile de fond, déjà, une certaine idée de la pratique du hockey sur glace made in Genève. Être servettien, c’est avant tout porter bien haut le grenat, une couleur unique et identitaire qui change du bleu, rouge ou noir qu’on voit partout ailleurs en Suisse ; c’est revendiquer une certaine différence et la cultiver ardemment ; c’est représenter un club dont la réputation turbulente n’a jamais vraiment été chaudement accueillie sur les patinoires helvétiques. Ce petit coin de hockey parqué au bout de la Suisse résiste encore et toujours à l’envahisseur (ce n’est pas un hasard si les ultras du club s’appellent… Les Irréductibles Grenat), et bombe le torse chaque week-end en toisant du regard ses adversaires depuis la ligne bleue. Une équipe fière et orgueilleuse, prête au combat, jamais vaincue d’avance, digne représentante d’une culture savamment entretenue, celle du « nous contre tous les autres » (arbitres inclus), dans une sorte d’hommage indirect au No One Likes Us, We Don’t Care cher au club de football de Millwall en Angleterre.
« C’est vrai que c’est spécial à Genève, approuve Rivera. Avec Jonathan Mercier, Dougal Poget, Yvann Bellido, Grégory Veuthey et Alex Tagini, on faisait les fiers, on se laissait pas facilement marcher dessus alors forcément, des fois ça pétait et ça finissait en baston contre certaines équipes. J’ai insulté des arbitres et pris une chiée de pénalités durant ces années, mais j’étais aussi un marqueur, je jouais quand même en power play et tout ! Et le one timer de Jonathan Mercier, c’était un peu notre arme secrète à l’époque. » Mercier, l’ami de toujours et l’autre représentant de la classe 1986 à avoir obtenu depuis une place de titulaire au sein de la première équipe genevoise. Big up.


Les débuts au football…

Au bon endroit, au bon moment

Au printemps 2004, Genève et Rivera gagnent un titre de champion de Suisse de Juniors Elites B et obtiennent dans la foulée une promotion en Juniors Elites A, catégorie que le club n’a jamais quittée depuis. Parallèlement, Chris reçoit ses toutes premières convocations en LNA, lors des deux derniers matchs de la demi-finale des playoffs contre Berne. Équipé mais pas aligné, Rivera fête la victoire du GSHC lors de l’acte no 4 aux Vernets, puis assiste deux jours plus tard à l’élimination de Servette à l’Allmend. Une défaite qui aura quand même vu le gardien genevois Reto Pavoni quitter sa cage à quatre reprises dans les dix dernières minutes de la rencontre pour bénéficier d’un avantage numérique. Un move qu’on n’avait alors que rarement vu en Suisse et mis à la mode par l’entraîneur servettien Chris McSorley, qui sur ce coup avait perdu son pari puisque Sébastien Bordeleau avait pu marquer le 2-0 dans la cage vide, alors que son équipe évoluait à quatre contre six.
Les plus nostalgiques pourront toujours se rabattre sur Les Règles du Jeu, le documentaire qui retrace la saison 2003/04 du club genevois. Histoire de voir ou revoir Philippe Bozon aller au bout de lui-même, Mattia Baldi faire le boulot contre Rolf Ziegler et Chris McSorley tester la solidité de la porte de la bande de l’Allmend, sous le regard incrédule de Blaise Pierroz, le gardien remplaçant de l’époque. Légendaire.
Durant l’été qui suit, la situation est claire pour Rivera. « Je me suis dit que c’était cool, j’avais pu voir une fois à quoi ressemblait l’atmosphère de la LNA, que maintenant j’allais faire mes années restantes de Juniors Elites puis arrêter, trouver un boulot et commencer la vie active. Vraiment, j’aurais jamais pensé avoir l’opportunité d’intégrer officiellement le contingent de la première équipe. C’est avant tout une histoire de timing. Simplement, j’étais là au bon endroit, au bon moment et j’ai su saisir cette occasion en bossant pour mériter ma place. » McSorley convoque les espoirs du club, leur explique qu’ils auront leur chance et qu’il n’appartient qu’à eux de montrer de quoi ils sont capables. « Il nous a dit d’y aller, de prouver qu’on en voulait et que si ça devait passer par un slashing à un gars qui a 500 matchs de LNA, alors il fallait le faire ! »
Rivera reçoit parfaitement le message. Durant la préparation d’été, lors des Hockeyades à la Vallée de Joux, il ne lui aura manqué qu’un petit assist pour réaliser un Gordie Howe Hat Trick contre le Lausanne HC. Peu après avoir marqué un but, le Genevois, pas encore 18 ans au compteur, lâche les gants contre Eric Landry. Une réaction instinctive après un bodycheck appuyé du Canadien sur Philippe Rytz. « J’ai vu cette charge et j’ai sauté sur Landry. J’ai pas réfléchi, je l’ai fait pour l’équipe et les coéquipiers, pour qu’on nous respecte. J’ai pris une pénalité de match et à la fin, McSorley m’a dit que j’avais fait le bon choix. »
Un mois plus tard, lors de la première rencontre du championnat de LNA à Zoug, Rivera reçoit une petite surprise dans le vestiaire. « J’arrive à ma place et là, je vois un maillot suspendu avec le numéro 26 et mon nom inscrit au dos. Pendant la préparation, j’avais un maillot sans nom avec le numéro 77, un truc pas vraiment officiel, un peu à l’arrache. À ce moment-là, j’ai compris que je faisais partie de l’équipe, que j’avais gagné ma place. Donc, pour la petite histoire, ce numéro 26, c’est pas moi qui l’ai choisi ! On me l’a attribué et je l’ai gardé depuis. »


…puis à Jonction…

Le « bon connard », international U20

Dès lors, un style est né. Celui d’un mec costaud, volontiers provocateur, dur au mal, expressif, chambreur, remuant, empêcheur de tourner en rond, maîtrisant le trash talking à la perfection, indispensable dans les coins de la patinoire ou dans les situations de désavantage numérique. Une teigne. Un gratteur. Une peste. Un agitateur. Dans le jargon actuel, les commentateurs préfèrent le terme plus courtois de « joueur d’énergie ». En vérité, le qualificatif importe peu. « Franchement, je m’en fous. C’est une façon de jouer que j’ai dû adopter pour me faire une place en LNA et en plus, ce style me correspond bien. C’est comme ça. Je sais que dans la ligue, j’ai la réputation du “bon connard ” [sic], du gars qui déstabilise l’adversaire et que personne n’aime. Moi, je réponds simplement que je suis un gagneur et que sur la glace je fais tout pour que mon équipe l’emporte. Et si ça signifie provoquer, mettre des charges et prendre des coups devant le but, alors je le fais sans problème. »
La saison 2004/2005 du GSHC voit le retour en Suisse de Goran Bezina ainsi que les engagements de Michal Grosek et Andreas Johansson pour épauler Philippe Bozon tandis que, grève de NHL oblige, plusieurs mercenaires nord-américains occupent le vestiaire des Vernets pour quelques rencontres. Parmi eux, un certain Derek Armstrong qui, auteur de treize points en neuf matchs avec les Aigles, aura été tout aussi actif en dehors de la patinoire. Chris éclate de rire. « Alors lui, il était mythique ! Une fois, on sort en boîte avec l’équipe, au Platinum. Armstrong arrive, claque la bise au videur, prend dans ses bras les serveurs et fait des high five au patron. Le mec, il était là depuis quelques jours seulement et il connaissait déjà tout le monde ! Il est pas resté longtemps, mais ça lui a quand même suffi pour mettre tout Genève dans sa poche. » C’est ce qu’on appelle une intégration réussie.
Confiné dans un rôle de treizième attaquant, Rivera ramasse les pucks après les entraînements, se contente de bouts de matchs ici et là, se tait, bosse et découvre le monde des hockeyeurs professionnels. Des types pas forcément différents de Monsieur Tout-le-Monde, en fait. « On jouait à Davos. Dans les couloirs, Grosek a croisé Joe Thornton. Ils étaient coéquipiers à Boston la saison d’avant, et là ils se sont fait des grosses accolades, ils s’envoyaient des poubelles dessus, ils se chambraient, ils déconnaient à fond ! Je me suis rendu compte que même s’ils sont pros, ces gars sont comme nous, en fait. » Ce même Thornton survole le championnat en compagnie de Rick Nash et Niklas Hagman et fêtera quelques mois plus tard un titre de champion de Suisse avec le HC Davos. Servette, lui, échouera au stade des quarts de finale contre Zoug.
La saison suivante, Chris franchit un palier. Il obtient plus de responsabilités, dispose d’un poste « fixe » aux côtés de Morris Trachsler et Mike Knoepfli, occupe une place de choix dans le box play avec Jan Cadieux et marque même son premier but officiel en LNA. L’attente aura tout de même duré soixante matchs. « C’était à Berne. On a gagné 6-2 et j’ai mis le quatrième. Un beau but, quand même ! Devant 15’000 spectateurs, chez le grand favori du championnat. Très bon souvenir. » Les bonnes performances de Rivera en club lui permettent également de prendre part au championnat du Monde à Vancouver avec l’équipe de Suisse U20.
Une première sous le maillot national pour un joueur qui n’avait jusqu’alors jamais été appelé pour représenter son pays. « En tout, j’ai six sélections en équipe nationale U20 : celles du championnat du Monde. J’ai pas le même parcours ni le même rôle que d’autres joueurs, mais ces matchs, je les ai mérités et j’en suis fier. Des grands noms ont participé à ce tournoi, des gars comme Phil Kessel, Evgueni Malkin ou Niklas Bäckström. D’ailleurs, je me souviens qu’en préparation, Julian Walker avait chopé Malkin au milieu de la patinoire et le Russe avait pas pu finir le match. » Ça alors. « Décembre 2005 : j’ai étalé Evgueni Malkin » : une ligne qui peut toujours faire son petit effet sur un CV.
La fin du championnat est douloureuse. Onzième, le GSHC se retrouve en play-out pour un petit point. Le club sauve sa place contre Zurich, mais l’ambiance n’est pas vraiment à la déconne. Le crève-cœur affecte doublement les Servettiens, puisqu’en plus de batailler en séries contre la relégation, Genève se voit contraint d’offrir une (trop) petite révérence à Philippe Bozon, sorti de sa retraite en cours de saison pour aider le club genevois. « Franchement, c’est dommage pour Bozon. Au début, quand je suis arrivé, j’osais à peine lui parler ! C’est vraiment la définition du leader, un mec qu’on aime voir jouer et qui inspire le respect. Bon, au moins on a gagné notre série et on s’est sauvés avec lui, c’est déjà ça. »


…et enfin à Servette.

Le chiffon de Meunier

Douze mois plus tard, Genève et ses Frenchies accrochent une place en playoffs (7e rang), au cours desquels certains joueurs décident de se couper eux-mêmes les cheveux. Rivera et Mercier arborent une crête douteuse de punk à chien, Paul Savary, Yorick Treille et Goran Bezina optent pour la boule à zéro mais à ce jeu-là, Laurent Meunier bat tout le monde.
Le Français présente un ovni capillaire : une sorte de petite bande à la De Niro dans Taxi Driver, agrémentée de motifs grossiers façon chanteur de R’n’B. Indéfinissable. Les routiniers Igor Fedulov et Olivier Keller, qui ont quand même un certain standing à défendre, préfèrent s’abstenir. Hélas, ni les excentricités de salon de coiffure, ni les stratagèmes tactico-psychologiques de McSorley (engagement du gardien tchèque Hübl pour… zéro partie jouée au final), ni les conseils avisés de Serge Aubin n’auront raison de Berne. Un Berne dont l’étranger Nathan Perrott avait quand même pour habitude de s’échauffer dehors avec des enchaînements de boxe avant d’entrer sur la patinoire. Pour les séances de tirs au but, on imagine.
Le Servette de 07/08 prend du galon, et Rivera aussi. En plus de dégommer ses adversaires le long des bandes, le Genevois évolue pour la grande partie de la saison en deuxième ligne aux côtés de Laurent Meunier et Juraj Kolnik, et chatouille même quelques mollets devant le but en power play. Goran Bezina, membre du All Star Team, est élu meilleur défenseur de la saison, Genève termine au 2ème rang du championnat régulier mais s’incline en finale des playoffs contre Zurich, au bout de la série de tirs au but du match no 6. « Cette année, on était une machine à gagner, affirme Rivera. Physiquement, on était vraiment au-dessus de la moyenne. Avec Robin Breitbach, Goran Bezina et notre « cheval » Thomas Déruns, honnêtement, on faisait peur ! J’ai eu beaucoup de plaisir et malgré la défaite en finale, je pense qu’on a déclenché un engouement immense à Genève. Vraiment, c’était une saison riche en émotions. »
De ce côté-là, franchement, rien à dire. En playoffs, la joie de Laurent Meunier est contagieuse et ses célébrations loufoques font plaisir à voir. En ouverture de la demi-finale contre Fribourg, après l’égalisation de Genève façon McSorley à six contre quatre (3-3), le Français ose un 360° à la ligne bleue entre les défenseurs (« Un move de chiffon », comme il le décrira plus tard) puis s’en va battre Sébastien Caron avec une feinte à la Jay-Jay Aeschlimann, avant de sprinter comme un pantin désarticulé au milieu de la glace. Jouissif. Plus tard, en prolongations du match no 1 de la finale, bien servi par Fedulov, Meunier allume la lucarne et amorce une sorte de toupie le long de la bande. Malheureusement, cinq matchs plus tard, Genève voit le titre lui filer sous le nez au Hallenstadion après un ultime tir au but manqué par Aubin. Cruelle désillusion.
À l’automne, Rivera entend bien confirmer ses bonnes dispositions et son nouveau statut au GSHC. Malheureusement, après vingt matchs de championnat, son épaule lâche. Bilan : ligaments déchirés, opération, rééducation. Six mois d’arrêt en tout. Les risques inhérents au métier de forecheckeur. « Pendant la saison, j’avais les ligaments distendus et je me sortais parfois l’épaule. Je la remettais en place et je continuais comme ça, jusqu’au jour où elle a lâché pour de bon. Je suis resté éloigné toute la saison, alors forcément j’étais pas vraiment dans le truc, je suivais l’équipe de loin et je pouvais pas faire grand-chose. Le retour a été long et difficile, mais ma femme m’a beaucoup soutenu et je l’en remercie. Quand on traverse une période pénible, ça remonte le moral d’être bien entouré. Un grand merci aussi au personnel soignant qui s’est occupé de moi. À Genève, on a la chance d’avoir les meilleurs. »
Sixième cette année-là, Servette évite (sciemment ?) Davos en playoffs, puis perd en quarts de finale contre Kloten. Une saison « ordinaire » qui aura été marquée par les belles perfs de Juraj Kolnik (meilleur compteur de LNA) et le nouveau venu Byron Ritchie (sixième rang), ainsi que le grave accident de Martin Höhener en novembre 2008, lequel se rendait en scooter à une des séances de karaté du club. Un gros coup d’arrêt qui n’a pas empêché le défenseur de revenir sur les patinoires et d’obtenir, dix-huit mois plus tard, une… ceinture bleue de karaté. Respect.


Concours de breakdance contre Kloten.

Fribourg, mon amour

La saison 2009/2010 restera sans doute comme l’une des plus mémorables pour le club genevois, qui atteint une nouvelle fois la finale du championnat. « Depuis que je suis à Genève, c’est le groupe le plus soudé auquel j’ai appartenu, explique Chris. On était vraiment une bande de malades, des fêtards qui faisaient les cons, mais qui savaient aussi bosser quand il le fallait. Si j’enlève la défaite en finale, c’est mon meilleur souvenir de hockeyeur et la saison où j’ai eu le plus de plaisir. »
Vêtu incontestablement du plus beau maillot de la ligue, osant le gris à l’extérieur, dépassant les 100 points en championnat, le GSHC cartonne, et Rivera aussi. Dix buts et vingt points en saison régulière, en plus d’une moyenne pas dégueulasse du tout en playoffs (0.5 points par match) : le numéro 26 servettien explose définitivement aux côtés de Florian Conz et Stefan Hürlimann.
Mais il n’est pas le seul. Si Paul Savary, Reto Suri et Daniel Rubin atteignent également une nouvelle dimension, Thomas Déruns, d’habitude dévolu aux tâches défensives, est tout simplement stratosphérique : 50 points en championnat, 25 en playoffs et un airhook d’anthologie lors du match no 4 de la finale (oui, la finale !) contre Berne. Mais ce but, qui fait les délices de YouTube et est considéré comme celui de la décennie en Suisse, éclipse un peu trop ce qu’on pourrait considérer comme l’assist du siècle, réussi par ce même Déruns lors du match no 7 de la demi-finale contre Fribourg. Un délice de service pour Tony Salmelainen, à une main, en glissant au sol et en pivotant. Du jamais-vu.
Lors du dernier match du championnat, Fribourg reçoit Genève, avec pour enjeu une possible confrontation entre les deux équipes romandes en quarts de finale. Servette remporte le match et obtient le droit de défier, trois jours plus tard, Gottéron lors des séries. Après la charge plutôt dangereuse de Benjamin Plüss sur Jonathan Mercier, Chris Rivera allume la mèche et se lâche dans les colonnes de la Tribune de Genève : « Je n’aime pas Fribourg-Gottéron. Ni ses joueurs, bêtes et stupides ni son environnement. C’est ainsi, vous pouvez l’écrire. Oui, je déteste ce club. »
Des propos qui, aujourd’hui, font plutôt sourire Chris. « Ah… la fameuse interview de Fribourg ! Alors oui, j’ai dit ça, c’est vrai. C’était dans le feu de l’action. Je regrette surtout la manière. J’aurais dû être plus mesuré. J’avais aussi insulté Benny Plüss, mais honnêtement ça n’avait rien de personnel. Quand j’ai vu sa charge, ça m’a énervé, c’est tout. Il faut prendre tout ça avec du recul. C’était un moyen un peu maladroit de faire monter la sauce. En tant que Romands, on veut être les meilleurs et les Fribourgeois aussi. Il y a une rivalité entre les deux clubs et beaucoup de tension, c’est normal. C’est de bonne guerre. La vérité, et ça aussi tu peux l’écrire, c’est que je préfère jouer contre Fribourg que contre Rapperswil ou Kloten. C’est une ville de hockey avec une bonne équipe et des supporters passionnés. Aujourd’hui, ça va mieux avec les gens de Gottéron. On s’allume encore, mais ça s’est calmé, on a une relation moins tendue. C’est pas l’amour fou, hein, mais on se respecte. Mais bon, j’avoue qu’à l’époque, j’ai pris beaucoup de plaisir à les battre lors de notre série ! »
Un âpre duel disputé en sept matchs, avec des charges, des bourdes, de la tension, des coups de poings, des goals en prolongations et même un McSorley qui s’exprime en bicanal à la télévision (« We are determined to gagner le prochain match à la maison »). Du beau hockey de playoffs, où Servette a comblé un déficit de 1-3 dans la série pour finalement l’emporter aux Vernets (5-2) lors du septième match.
Avec deux buts, dont un breakaway sous les sifflets à St-Léonard, Rivera a fait le boulot contre Fribourg. « Après cette série intense, Zoug a été une formalité. On était tellement dans une dynamique positive que tout nous réussissait. Ensuite, en finale contre Berne, c’était plus compliqué. On avait des blessés et des joueurs suspendus, mais on a tenu le choc. J’étais vraiment usé physiquement sur la fin et ça n’a pas suffi. Ça a été dur à avaler. Franchement, je préfère perdre 4-0 au premier tour qu’au septième match de la finale. Ça fait trop mal. Cette défaite, je l’ai pas encore complètement digérée. » Maigre consolation : lors du match no 3, Vukovic s’essuie les mains, au propre comme au figuré, sur Caryl Neueunschwander. Net et sans bavure.

HC McSorley

Une deuxième finale en trois ans pour Servette qui, si elle n’a pas consacré le GSHC, aura au moins eu le mérite d’offrir un coup de projecteur sur le management « à l’américaine » cher à Chris McSorley, l’entraîneur/propriétaire présent depuis 2001 au bout du lac.
Sur la forme d’abord, puisque le club genevois fut quand même l’un des précurseurs en matière d’image dans le courant des années 2000, avec des casques et des fourres de cuissettes différentes selon les matchs à domicile ou à l’extérieur ; des gants aux couleurs du club ; deux maillots avec un logo et un design chacun, sans trop de sponsors qui dénaturent l’ensemble (coucou Bienne, coucou Berne) ; des tuniques pour des occasions spéciales (Pink Night, Fête de l’Escalade, Opération Peluches) et enfin un show d’avant-match savamment orchestré.
Sur le fond ensuite, avec des transferts « choquants » sur le plan sentimental mais économiquement nécessaires (Kevin Romy à Lugano, puis Thomas Déruns à Berne), et une direction sportive parfois à contre-courant dans la Suisse conservatrice du hockey, incarnée par des postes à responsabilités donnés à des joueurs néophytes en LNA.
Une manière singulière de voir le hockey sur glace (jeu à six contre quatre, slaps des défenseurs depuis la ligne rouge ou plus loin, power play avec deux joueurs derrière la ligne de but) qui a permis à certains de prendre la lumière sous le maillot grenat. On pense à Rivera et Mercier bien sûr, mais on pourrait aussi citer Benoît, Savary, Romy, Ançay, Déruns, Cadieux, Gobbi, Höhener, Rubin, Suri ou Vukovic. Une formule qui a également su séduire les spectateurs genevois, eux qui étaient près de 7’000 en moyenne aux Vernets en 2012/13, contre à peine 5’000 il y a dix ans.
Rivera acquiesce. « On peut reprocher beaucoup de choses à McSorley, je l’admets. Au début, c’était un vrai psychopathe ! Il s’est passablement assagi depuis. Il a son caractère, il est exigeant, mais si tu le respectes, il est réglo avec toi. Lui et Hans Kossmann m’ont quasiment réappris à jouer au hockey ! Pour rester poli, j’étais un ado un peu turbulent, et eux m’ont guidé, m’ont donné une ligne de conduite pour que je sois un meilleur joueur, mais aussi un meilleur homme. Pas sûr que j’aurais eu ma chance dans un autre club. Alors oui, McSorley est un peu spécial, mais franchement, en Suisse, combien d’entraîneurs de LNA font autant confiance aux jeunes ? »
Posez donc la question au défenseur Frédéric Iglésias. Transfuge du HC Red Ice en LNB, il fut aligné en power play face à Berne lors des playoffs de 2013. Le tout à la Postfinance Arena, avec des patins blancs, le numéro 45 dans le dos, aucune expérience du haut niveau et un but à la clé. Alors que, douze mois auparavant, il évoluait encore en… 1ère ligue avec le club martignerain. Oui monsieur.


Un aigle, du grenat et Chris Rivera : la photo la plus genevoise de l’histoire du hockey.

Epaule II, backchecking et play-out

Fort de sa deuxième finale, Rivera entend bien inverser la tendance pour 2010/2011. Préparé comme jamais, il entame la saison le couteau entre les dents. Malheureusement, le 22 octobre, après une banale mise en échec sur Travis Roche à Berne, Rivera se blesse gravement à l’épaule. Encore. « Je vais pour le charger et en tombant, je me sors l’épaule. Pas la même que deux ans auparavant, l’autre. C’était vraiment une charge banale, le truc qui arrive dix fois dans un match, et je me blesse là-dessus. J’étais au fond du trou. »
Tellement qu’il songe même à mettre un terme à sa carrière de hockeyeur. « Je me suis demandé à quoi ça rimait. Se faire mal, s’user, se démolir le corps, bosser, continuer, recommencer, s’infliger tout ça. Pourquoi, au fond ? J’avais déjà vécu cette situation et j’étais prêt à tout lâcher. J’y ai songé sérieusement. Et puis la colère s’est estompée, ma femme et ma famille m’ont à nouveau convaincu et la passion a peu à peu repris le dessus. L’adrénaline, la tension des matchs, les émotions, c’est vraiment le pied de vivre ça. Je me suis remis au boulot et on a discuté avec McSorley. J’arrivais à la fin de mon contrat et lui hésitait. Je lui ai dit de m’accorder une saison supplémentaire, il a accepté et voilà. »
Après la défaite de Genève en playoffs 2011 contre Zoug, il s’agit donc d’un nouveau départ en plus d’une orientation inédite à la carrière de Rivera. En effet, McSorley le fait passer d’ailier à centre-avant. Un rôle qui demande une certaine adaptation. « D’habitude, à l’aile, je vais dans tous les sens. Là, j’ai dû apprendre à économiser mon énergie. En plus, on se tapait les étrangers en face. Tu dois gagner les engagements, bosser en défense, aider en attaque et être le premier à backchecker. En fait, faut penser à tout quand tu es centre. Je dis pas qu’à l’aile tu fous rien, mais t’as quand même moins de responsabilités. »
Après avoir connu deux fois la finale des playoffs, Servette découvre en 2012 l’envers du décor au fond des séries contre la relégation. Pour un petit point, Genève finit sous la barre, au neuvième rang, puis ramasse comme il faut contre Rapperswil (1-4 dans la série) après un mortifiant 2-5 aux Vernets. « Eux, ça faisait depuis décembre qu’ils préparaient les play-out et on a pris cher. Franchement, ces séries, ça fait chier de les jouer. Tu t’enfonces, tu t’énerves et t’as qu’une envie, c’est finir au plus vite la saison. Heureusement, on a battu Ambri et on s’est sauvés. » Comme ça, au moins, Genève aura quand même gagné une finale en LNA.

Les Spécialistes séparés

Pour Rivera, le mois d’août est généralement un bon indicateur de la saison à venir. Celui de 2012 n’a pas dérogé à la règle. Genève est remanié, joue depuis une saison en… jaune pisse à l’extérieur (bon, non, là, franchement…), accueille un Kevin Romy superstar, de retour aux Vernets après six saisons à Lugano, en plus de deux joueurs grévistes de NHL, le Canadien Logan Couture et le Suisse Yannick Weber. « On a eu beaucoup de plaisir en préparation, confirme Chris. On faisait des trucs ensemble, des grillades, des sorties avec les familles. Vraiment, Genève est très appréciable pour ce genre de choses. Ça a soudé l’équipe et on a appris à connaître les nouveaux gars. »
Une grosse page d’histoire se tourne cependant avec le départ définitif de Paul Savary. Lui, l’enfant du club, en première équipe depuis 1999, quitte finalement Genève pour le voisin lémanique Lausanne. Les aléas du hockey, dit-on. Rivera rend hommage. « Paul Savary… On pourrait écrire un bouquin sur lui ! Lui est plutôt Barça, moi Manchester United, et on se chambrait tout le temps sur le foot. On s’appelait d’ailleurs Les Spécialistes, comme l’émission de télé. Qu’est-ce qu’on a pu rire avec nos théories foireuses ! C’est vraiment dommage qu’il soit parti. Maintenant, le club s’est beaucoup “américanisé” et comme lui cause pas un mot d’anglais, je pense que ça lui a fait quelque chose, quand même. Je dis pas que c’est l’unique raison de son départ, mais ça change certainement de l’époque où on a débuté quand on se chambrait tous en français. Il avait peut-être aussi d’autres perspectives, une envie d’aller voir ailleurs et de changer d’air. »
Servette démarre en trombe (une seule défaite lors du premier tour), accroche finalement les playoffs et rencontre en quarts de finale son nouveau meilleur copain, le CP Berne. Une nouvelle série perdue en sept matchs où les Genevois menaient pourtant 3 victoires à 1 avant d’aligner trois défaites, dont une cruciale aux Vernets après les tirs au but. D’autant plus rageant qu’on prédisait l’enfer à un Servette qui n’avait pas les faveurs des pronostiqueurs. Une chose est cependant certaine : Alex Picard ne s’est pas fait que des amis à la Postfinance Arena et a par la même occasion définitivement conquis le cœur des Genevois.
Après une nouvelle tuile cette année (commotion qui l’a éloigné des patinoires pendant le début du championnat), Chris Rivera est d’attaque pour la suite de la saison, sa dixième aux Vernets. Avec en ligne de mire un Winter Classic à la sauce helvétique (le 11 janvier 2014 au stade de Genève contre le LHC), une probable participation aux playoffs et, pourquoi pas, une nouvelle accession à la finale du championnat. Histoire de vérifier une bonne fois pour toute : on dit « Jamais deux sans trois » ou « Deux c’est assez, trois c’est trop » ?

Les deux autres portraits réalisés par Benjamin Moret :


Alain Reist :
Shérif, fais-moi peur

Thibaut Monnet : Monnet sous une bonne étoile

Écrit par Benjamin Moret

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12 Commentaires

  1. Wow. Juste wow. Ces portraits sont vraiment excellents ! Merci CR, merci au journaliste et merci à Rivera, une « peste » qu’on adore détester, et qu’on adore tout court !

  2. Un chanteur/groupe : Booba
    Un livre : aucun

    J’ai bien fait de commencer l’article par la fin. J’en attendait pas plus de la part de ce joueur.

    Hippocampe

  3. Très bon portrait qui permet, à travers le joueur, de connaître plus largement tout le système de Servette, ce club qu’on adore détester !

    Rivera reste en effet un « bon connard », mais deux qualités qui l’honorent ressortent de cet entretien. D’abord, ce gars possède un recul sur lui-même, et reste conscient de ses qualités. Si tous les joueurs avaient cette clairvoyance, on éviterait bien des melons.

    Et ensuite, ce mec est un clubiste sincèrement amoureux de sa ville et de son club, ce qui nous change grandement des mercenaires qui en ont rien à foutre d’où ils jouent, tant que le pognon est là. Après il est possible qu’il soit transféré (McSorley est capable de tout, on l’a vu…), mais Rivera aura toujours le sang grenat.

    Bravo à Rivera donc, et aussi bravo au journaliste, puisque c’est bien sa plume qui rend ces portraits si réussis.

  4. Je n’aime pas ce joueur, mais alors pas du tout, mais après son témoignage je dois dire que ma perception change quand même un peu.
    Franchement, respect. Et bravo au journaliste pour ces portraits passionnants !

  5. Sympa article, qui montre que finalement un joueur « ordinaire » peut en étant au bon endroit et au bon moment se faire une place à force d’abnégation. Je n’aime pas ce joueur, mais ne fais pas pour autant partie des chanteurs d’insultes à son encontre.
    Je dirais juste que lorsqu’il a mis l’huile sur le feu, il devait s’attendre à du retour….
    Note à la rédaction : si votre idée est de faire un article sur les joueurs clubistes qui n’auraient eu aucune chance dans un autre club, évitez Birbaum chez nous… Il y a telllement rien à dire ! 😉

  6. Un chanteur/groupe : Booba
    Un livre : aucun

    Je suis bien conscient qu’un hockeyeur n’est pas payé pour être un érudit, mais je me demande ce qui est le plus grave: avoir Booba comme référence musicale et ne pas avoir de livre de référence, ou admettre cet état de fait absolument consternant.

  7. Sympa… même pour un Fribourgeois comme moi.
    Il démontre qu’en travaillant fort et en étant très motivé, un joueur qui n’est pas le plus talentueux au départ peut arriver au sommet et se rendre indispensable grâce à son engagement et son état d’esprit. Moi je dis bravo et vivement le prochain derby qu’on remette les pendules à l’heure. 😉

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