Zoom sur… «24 heures avec Eric Cantona»

Le site est plutôt calme ces jours. L’occasion est donc idéale pour ressortir un ancien article dans le cadre de notre rubrique «Zoom sur…». Publié en mai 2009, ce papier de Gary Romain te raconte une journée aux côtés d’Eric The King.

CartonRouge.ch se met à l’heure du Festival de Cannes pour rendre hommage au film «Looking for Eric» de Ken Loach. Tu vas ainsi vivre en exclusivité 24 heures dans le quotidien d’Eric Cantona. He oui, tu ne rêves pas cher lecteur adoré, pendant une journée, tu vas être plongé dans l’univers parallèle du «King». Ses rêves, ses pensées profondes, ses joies, ses peines et surtout ses réflexions sur le monde actuel… Vivre Cantona de l’intérieur est une expérience unique et ton site préféré ne pouvait pas faire l’économie d’une telle rencontre.Il est à peine 11h30. Nous sommes dans la chambre 707, au septième étage de l’Hôtel Martinez, le réveil Tissot-Picasso© d’Eric se met en branle. Au son de la XVIème symphonie en si bémol de Viktor-Abdoul Savamahoupha, le célèbre cithariste afghano-ukrainien, le Marseillais se réveille après une longue nuit passée à explorer ses rêves. «Putaing’», éructe-t-il en taclant l’horloge d’un geste chirurgical, «tu vas la fermer ta grandeuh gueuleuh !». Les yeux encore perdus dans les limbes nocturnes, Cantona tente de se remémorer ce qui lui a traversé l’esprit durant son sommeil.
«Cong’, qu’est-ce qu’il est venu essayer de me faireuh commmprendre ce fada de Mamadou Diembé-Touré ?» Cette nuit en effet, Eric a vu une ombre se promener au plafond de sa chambre cannoise dans une espèce de sons et lumières des plus étranges. Dormait-il déjà ? N’était-il que dans un demi-sommeil ? Il ne sait trop le dire, mais le saura-t-il un jour… Toujours est-il que les paroles de ce penseur sénégalais du début du XXème siècle lui sont restées dans la tête. «Quand tu danses avec un aveugle, touche-le souvent pour qu’il sache qu’il n’est pas le seul sur scène», a lancé le vieux fou, les yeux exorbités.

«Les dictons, c’est commeuh les oursing’»

Canto a été touché au plus profond de son âme par ce dicton en forme de révélation quasiment divine. Touché par quoi au fait, Eric ? «Vé ! Les dictons, c’est commeuh les oursins. Ils te piquent, mais c’est pas pour te faire de mal. Ils font justeuh ça pour te dire qu’ils song’ là, qu’ils existent, te regardent, te reconnaissent», philosophe-t-il avant d’approfondir l’explication. «Putaing’, l’aveugle c’est le mondeuh, tu compreng’ rieng’ ?!? Le monde il faut danser avec, tout en le gardant assez loin de toi pour lui monnntrer qu’il est pas zà nous, mais en même temps le garder tout près de tong’ coeur pour que personne ne lui fasse de maleuh. Et si tu le laisses filer, ileuh tommmbe de la scène et va s’écraser comme uneuh mouetteuh en fin de vie sur les rochers des Calanqueuh. Le mondeuh, tu dois lui faire l’amour à distanceuh. Avé circonspectiong’.»
Le Roi de Manchester a besoin de digérer son analyse. Nu comme un vers («Noooooooon ! Nu comme le nouveau-né ! Nu comme le monde m’a créé depuis que le mondeuh est mondeuh ! Nu comme Canto est depuis que Canto est. Nu commeuh la vie, comme le ciel. Commeuh le pingouin sur la banquise ou la girafe dans le désert. Nu comme le mondeuh serait si on y avait pas foutu la merdeuh», insiste-t-il), il se rend sur son balcon et contemple la mer. Sa mer. SA Méditerranée à LUI. Qu’il ne rejoint que trop peu souvent à son goût. Cette étendue verte, bleue, mauve, jaune, brune… Selon le destin que lui promettent le ciel et les vents dominants. Selon ce que la nature et les éléments ont décidé aujourd’hui.
En pleine introspection, il marmonne intensément dans sa barbe. On peut sentir, palper, humer presque, qu’il tente de prendre la mesure de ce qu’il s’est passé pendant que le soleil et ses rayons chasseurs de rêves avaient cédé leur place à l’astre lunaire. «Pécaïreuh ! Ça me donne envie de peindreuh», lâche Cantona alors que pendant trois heures, son regard était perdu au loin, bien plus loin que la ligne d’horizon que l’oeil peut humainement déceler. Malheureusement pour lui, il n’est pas en vacances sur la Croisette et il a déjà plus de trente minutes de retard à sa première conférence de presse de la journée.

Canto Pènng’

«M’eng’ fous», crie-t-il à l’attaché de presse du film, venu le sortir de sa torpeur toute personnelle. «Quand Canto veut pèèènndre, Canto pènng’», s’énerve-t-il en claquant la porte de sa suite au nez du communiquant. En furie, il se jette sur ses bagages, en tire un chevalet pliable («il s’appelle Crépin», croit-il bon de préciser), deux tubes de gouache et un pinceau («Lui c’est Ignace, mong’ meilleur ami»). Pendant de longues minutes, il s’escrime sur sa toile. C’est un véritable effort physique auquel se livre l’ancien footballeur. D’un certain point de vue, ça ressemble presque à de l’escrime. Haletant, il prend finalement trois mètres de recul sur son oeuvre aux alentours de 17 heures.
«Puteug Viergeuh !», lâche-il comme un râle. «C’est ezactemeng’ ça !» Quand on fait le tour de «Crépin» pour s’enquérir du dessin, c’est une sorte d’amas de coups de pinceaux désordonnés qui vous saute aux yeux. Du bleu, du rouge et un peu de brun là où les deux couleurs se sont rencontrées. Devant notre air ahuri, le Maître s’explique à sa façon. «Le rougeuh, c’est le sang de ma mère à ma naissance. Le bleu c’est pour signifier l’eau. L’eau c’est la vieuh, tu compreng’ ? Et le brun, c’est tout ce gâchis que la nature humaine t’oblige à faire». Dit comme ça, c’est pas vraiment plus clair, mais pour ne pas avoir droit à une énième théorie sans queue ni tête, nous lui signifions que nous avons saisi sa pensée.
Nourri par l’esprit, le champion du monde de beach-soccer en 2005 se rend compte qu’il n’a toujours pas fait le plein de nourriture terrestre depuis qu’il s’est éveillé. «Tu vois garçong’, je vais manger des oursing’, c’est mon ventre, le centre de la vie qui me l’a conseillé», souligne-t-il au volant de sa Renault Clio, louée pour la semaine, nous conduisant dans une calanque reculée de la Côte d’Azur. Pas de grosse berline, pas de cabriolet, cela peut surprendre de la part d’un homme qui a plus que bien gagné sa vie au cours de sa longue carrière de footballeur. «Quand Canto rentre dans une voitureuh, la voitureuh devient Canto», déclare-t-il. «Tu as de la chanceuh petit, tu es monté dans la première Renault Canto», se marre-t-il.

Canto a faimg’

Son portable vibre. Le nom de Michel Denisot s’affiche sur l’écran digital. Eric a oublié qu’il devait passer sur le plateau du Grand Journal de Canal+ pour vendre son film. Alors que la deuxième sonnerie retentit à peine, l’appareil vole par la fenêtre et va finir sa course dans la mer. «J’ai faimg’ ! Et quand Canto a faimg’, Canto mange», glisse-t-il simplement en guise d’explication, juste avant de se parquer sur la terrasse du restaurant, chassant ainsi trois touristes belges traumatisés par le freinage tardif de la star.
«Patrong’ !! Commeuh d’habitudeuh», s’empresse-t-il de dire à peine attablé. A partir de ce moment-là, c’est une véritable farandole de couleurs, de goûts, de fumets qui envahissent les sens de ton chroniqueur. Les oursins promis pendant le voyage étaient au rendez-vous, mais la suite fut tout aussi gargantuesque. Ecrevisses, calamars, légumes frais de la région, gratins, vins hallucinants, desserts aux mille saveurs sont venues exciter nos papilles. «Ça c’est la vieuh mong’ petit, heing’ ? Qu’est-ce qu’ong’ va chercher des Bocuse, des Ducasse ou je sais plus commeng’ ils s’appellent ces arnaqueureuh ?!? La vie elle est simple comme ung’ coup de fil auqueleuh tu ne répong’ pas. La liberté, elleuh commence vraimeng’ ici», assure-t-il alors que le noir s’est établi dans les cieux.
Sur le chemin du retour, l’international aux 45 sélections se tait. Eric Cantona nous a certes beaucoup dévoilé de sa personnalité aujourd’hui, mais c’est peut-être maintenant, en un court instant fugace, que nous en apprenons le plus sur l’homme. Sur ce génie. Ce poète. Il y a des silences qui en disent plus long que toutes les phrases du monde. Il y a des regards bien plus parlants que l’article le plus pertinent. Canto est un homme libre, et c’est sa manière de nous jeter hors de sa voiture alors qu’il a cru trouver enfin son alter ego animal que nous avons compris. Parti à la poursuite d’un goéland en pleine migration, sa voiture s’échouera quelques secondes plus tard dans une dune du bord de mer et Eric a pleuré. De longues minutes…

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2 Commentaires

  1. And We Drink, We Drink, We Drink for Eric The King, The King, The King…..

    Idole d’un football maintenant disparu!
    Merci pour tout: pour ta folie, ton génie, merci pour United et merci pour la passion qui t’as toujours animé et que les fans ressentaient en ta présence.
    Merci d’avoir fait honte à ma nana au cinéma quand tu marques contre Liverpool FC en finale de la FA Cup 96 et que j’ai célébré comme si j’étais à Streford End!

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